A coup de gaz lacrymogène, les forces de l'ordre sénégalaises empêchaient jeudi la tenue de manifestations à Dakar, interpellant des opposants venus protester contre l'adoption d'une révision du code électoral, moins d'un an avant la présidentielle.

Dans une Assemblée nationale placée sous haute protection, les députés ont entamé jeudi matin, dans une ambiance houleuse, l'examen d'un projet de loi imposant un parrainage à tous les futurs candidats.

A quelques rues de là, les policiers ont fait usage de gaz lacrymogène pour disperser des dizaines de manifestants qui avaient érigé une barricade de branchages et lancé des pierres sur les véhicules de la police, selon des journalistes de l'AFP.

L'ancien Premier ministre Idrissa Seck (2002-2004), l'un des opposants les plus en vue au président Macky Sall, a été interpellé alors qu'il était "en route pour l'Assemblée", selon des responsables de son parti, Rewmi (le "pays").

Des protestations ont également eu lieu à Saint-Louis (nord), Thiès (ouest) et Mbacké (centre) selon les médias locaux.

Porté par Macky Sall, élu en 2012 et très probablement candidat à sa succession en février 2019, le texte prévoit que les candidats devront recueillir le parrainage d'1% du corps électoral, soit environ 65.000 personnes, réparties dans au moins sept des régions du pays, à raison de 2.000 par région au minimum.

Les autorités affirment vouloir prévenir, par souci d'économie et de meilleure organisation du scrutin, une inflation du nombre de candidats à la présidentielle dans un pays qui compte près de 300 partis, rappelant la présence de 47 listes aux législatives de juillet 2017.

Il s'agit d'éviter "la théâtralisation dramatique du jeu politique", a dit le ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall.

"Le but unique de cette forfaiture est évident aux yeux de tous: empêcher les candidats de l'opposition" de se présenter, a répondu la coalition de l'opposition, appelant à s'opposer au "coup d'Etat constitutionnel du président Macky Sall".

M. Sall est actuellement en "visite privée" en France et sera reçu vendredi par le président Emmanuel Macron.

- 'Contexte de répression' -

Une autre figure de l'opposition, Malick Gakou, a également été interpellée avec trois des militants de sa formation, le Grand Parti, tout comme le président du mouvement Agir, Thierno Bocoum, selon leurs proches.

A l'Assemblée, des députés de l'opposition ont tenté d'envahir la tribune en fin de matinée, provoquant une suspension de sa séance plénière.

Un rappeur célèbre au Sénégal, Kilifa, membre du mouvement "Y'en a marre", a également été interpellé, tout comme l'activiste Guy Marius Sagna, selon un membre de ce collectif en pointe en 2012 dans le combat contre un troisième mandat du président Abdoulaye Wade (2000-2012).

"Vous n'avez pas le droit de nous injurier", a lancé une manifestante à un policier au moment de son interpellation.

A la mi-journée, la police continuait de disperser à coups de gaz lacrymogène tout rassemblement dans le centre-ville, où les commerces et des écoles étaient fermés et les transports publics étaient perturbés.

Près du grand marché Sandaga, des pots de fleurs ont été renversés par des manifestants, dont plusieurs ont été embarqués par les policiers.

L'opposition et des associations de la société civile avaient appelé à protester jeudi, malgré l'interdiction des manifestations dans le quartier de Dakar-Plateau, qui abrite les principales institutions du pays.

Dans un communiqué, Amnesty International a appelé le pouvoir à "respecter le droit de manifester pacifiquement et de s'exprimer, dans un contexte de répression de la dissidence".

Dans un Sénégal généralement cité en bon élève de la démocratie en Afrique, "les autorités continuent de restreindre la liberté d'expression et de prendre pour cibles les artistes, les journalistes, les défenseurs des droits humains et les dissidents politiques", estime Amnesty.

L'élu d'opposition Barthélémy Dias, proche du maire de Dakar et opposant Khalifa Sall, condamné le 30 mars à cinq ans de réclusion pour "escroquerie", a écopé mardi d'une peine de six mois de prison ferme pour "outrage à magistrat" après avoir critiqué cette décision, a rappelé l'ONG.

AFP
Le 19 avril 2018

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