VIDEOS -- Selon le journal Le Monde, l'IGS, la « police des polices », aurait tronqué des procédures qui ont débouché sur la suspension de cinq hauts fonctionnaires de la préfecture de police de Paris jugés proches du PS. C'était en 2007. Nicolas Sarkozy était alors ministre de l'Intérieur.
L'Inspection générale des services (IGS), la « police des polices », aurait falsifié une procédure en 2007, en pleine campagne pour l'élection présidentielle, afin de nuire à des fonctionnaires de la préfecture de police de Paris jugés trop proches du Parti socialiste, écrit Le Monde daté du 12 janvier.
La préfecture de police de Paris dénonce pour sa part des « allégations infondées ».
Le quotidien rapporte que des policiers de l'IGS sont soupçonnés d'avoir truqué des procès-verbaux, déformé des déclarations de personnes en garde à vue et modifié des comptes rendus d'écoutes téléphoniques pour provoquer la mise en cause de cinq fonctionnaires, dont quatre ont été mis en examen à tort en 2007.
Accusés d'avoir indûment délivré des titres de séjour, ils avaient été suspendus de leurs fonctions. Ils ont depuis été blanchis par la cour d'appel de Paris.
Au nombre des fonctionnaires visés figuraient Yannick Blanc, patron de la police générale à Paris, jugé proche de Ségolène Royal, candidate socialiste à la présidentielle de 2007, et Christian Massard, officier de sécurité de l'ancien ministre socialiste de l'Intérieur, Daniel Vaillant.
Six informations judiciaires, confiées à quatre juges d'instruction, sont en cours. Elles visent à déterminer le rôle de la « police des polices » et ses motivations.
Selon Le Monde, le préfet de police de Paris, Michel Gaudin, un proche de Nicolas Sarkozy, a été entendu en qualité de témoin assisté le 15 décembre dernier dans cette affaire, ainsi que l'ancien patron des renseignements généraux, Pascal Mailhos.
« Ils ont tous deux été les signataires des arrêtés de suspension visant les fonctionnaires injustement accusés. Il leur est notamment reproché de s'être appuyés sur des éléments judiciaires dont ils n'auraient pas dû avoir connaissance », affirme le quotidien.
Le patron de l'IGS, Claude Bard, a également été auditionné.
« Outre l'institution policière, l'affaire pourrait aussi se révéler embarrassante pour Nicolas Sarkozy, à l'époque ministre de l'Intérieur puis président de la République », écrit Le Monde. Yannick Blanc, aujourd'hui directeur adjoint du cabinet du président du conseil régional d'Ile-de-France, le socialiste Jean-Paul Huchon, souhaite que « le problème » du fonctionnement de l'IGS soit posé.
« Lorsqu'on s'aperçoit progressivement que, dans un service qui est chargé de faire respecter la loi par la police, et de faire respecter la déontologie de la police, toutes les règles sont assez systématiquement violées, il y a un problème qu'il faut poser », a-t-il déclaré.
G.A.
Cela n'a pas traîné. À peine l'affaire de l'IGS, l'inspection générale des services, était-elle révélée par Le Monde que les socialistes mettaient en cause Claude Guéant. Le député PS Bruno Le Roux, un porte-parole de campagne de François Hollande, a accusé le ministre de l'Intérieur « d'être au cœur » de l'affaire de procédure truquée au sein de l'IGS.
En 2007, Guéant était le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur, puis son directeur de campagne. À l'époque homme de l'ombre, il était le pivot du dispositif de Sarkozy, fort de sa connaissance de tous les rouages du ministère de l'Intérieur dont il est issu en tant qu'ancien préfet. C'est précisément cette expérience qui explique les soupçons du PS. « J'ai totalement confiance dans la police et dans l'Inspection générale des services. Quand des opérations ont été montées comme cela, cela veut dire qu'il y a eu des ordres et, où que l'on remonte dans cette affaire, il y a un nom, c'est Claude Guéant », a déclaré Bruno Le Roux, dans les couloirs de l'Assemblée peu avant la séance des questions d'actualité au gouvernement. « S'il y a un personnage à qui il faut demander des explications, c'est Claude Guéant, avant peut-être d'avoir à en demander à un autre responsable politique », a insisté ce député de Seine-Saint-Denis.
« Claude Guéant est au centre d'un système de pouvoir qui s'est transformé en système de clan et dont on voit qu'il tenait toutes les manettes », a-t-il ajouté. « C'est le premier à qui l'on doit demander des comptes. Il doit donner aujourd'hui des explications, il est au cœur de l'affaire », a-t-il martelé.
Également ciblé par le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, lors des questions d'actualité à l'Assemblée, Guéant a répliqué : « Sur la foi d'informations tronquées, de pièces de justice partielles, on instruit un procès public. Le préfet de police usera de son droit de réponse auprès du journal qui a publié ces indications, il se réserve de donner les suites judiciaires appropriées, mais je voudrais rappeler un principe de notre République, c'est que quand la justice est saisie, on la laisse travailler. »
Jean-Pierre Bédéï
« Les relations entre la police et le pouvoir politique ont toujours été étroites et ambiguës », assure Alain Hamon, journaliste et écrivain spécialiste de la police (1).
Les informations révélées par le journal Le Monde mettent une fois encore sur le devant de la scène les liens étroits et de subordination qui unissent ces deux univers. « De tout temps, les gouvernants ont utilisé la police à des fins politiques », poursuit Alain Hamon.
Actuellement, il y a par exemple une autre affaire concernant des journalistes du Monde enquêtant sur l'affaire Bettencourt. La Direction centrale du Renseignement Intérieur (DCRI) s'est procuré les « fadettes » (relevés téléphoniques) de ces reporters d'investigation afin de savoir qui les informait sur ce dossier suivi de très près par l'élysée. « Cette intervention de la DCRI a eu lieu, comme par hasard, au moment ou des personnes disaient que Nicolas Sarkozy allait chercher, avant qu'il ne soit Président, des enveloppes d'argent chez l'héritière de L'Oréal », s'étonne faussement Alain Hamon.
Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, a été mis en examen pour avoir violé le secret des sources en se procurant ces fadettes. C'est Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale et ami de longue date de Nicolas Sarkozy, qui l'avait chargé de ce « travail ». Difficile de croire que Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, ignorait cette intervention.
Claude Guéant qui, en 2007, lors de la procédure de l'IGS visant les six policiers jugés proches du PS, était déjà au côté de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, en qualité de directeur de cabinet.
Une autre affaire a révélé que la police pouvait directement travailler pour et à la demande de Nicolas Sarkozy. En mars 2010, alors que des rumeurs circulent sur une hypothétique liaison entre Carla Bruni et le chanteur Benjamin Biolay, la DCRI, encore elle, intervient pour tenter d'identifier qui fait courir ces bruits. « Le service avait alors été détourné de sa mission pour écouter des proches de l'élysée », rappelle Alain Hamon.
Le 14 septembre dernier, une conversation téléphonique en a conduit plus d'un à penser que Brice Hortefeux, ancien ministre de l'Intérieur, avait eu vent d'éléments policiers confidentiels dans le volet financier de l'affaire Karachi. Dans cet appel, qui faisait l'objet d'une écoute judiciaire, Brice Hortefeux déclarait à Thierry Gaubert - ex-conseiller de Nicolas Sarkozy - que son épouse, Hélène Gaubert, « balançait beaucoup ». « Qu'est-ce que tu as comme infos là-dessus, toi ?, parce qu'elle me dit qu'elle dit rien » lui avait demandé Thierry Gaubert. « Ça m'embête de te le dire par téléphone. Il y a beaucoup de choses, hein », avait répondu l'ex-ministre de l'Intérieur. À la demande de qui et pour quelle raison Brice Hortefeux a-t-il donné ce coup de fil ?
Sous d'autres présidents de la République, la police s'est aussi livrée à des missions à la demande du pouvoir en place.
En 1993, alors que Charles Pasqua était ministre de l'Intérieur, la police algérienne, qui venait de libérer trois otages français enlevés à Alger par le Front Islamiste du Salut (FIS), a demandé en remerciement à la France d'interpeller sur son sol des activistes et sympathisants du FIS. La police a alors arrêté Moussa Kraouche, porte-parole de la Fraternité algérienne en France (FAF). Chez lui, les policiers trouvent de soi-disant documents mettant en évidence son implication au sein du mouvement terroriste. Il s'agissait en fait de faux qu'ils avaient eux-mêmes déposés. « Cette manipulation n'avait pour seul but que de faire plaisir aux autorités algériennes », explique Alain Hamon.
François Mitterrand, avec sa « cellule élyséenne » censée lutter contre le terrorisme, a demandé à des gendarmes et des policiers d'espionner pendant des années les conversations de dizaines de personnalités pour des raisons souvent uniquement personnelles… Et on peut remonter à l'époque du général de Gaulle lorsque, pour les bonnes et basses œuvres du pouvoir, la police était entièrement aux ordres…
Guillaume Atchouel
(1) Alain Hamon a publié « P comme Police » aux éditions Gawsewitch.
La « police des polices » parisienne, l'IGS, réputée pour ses enquêtes sans complaisance sur des « ripoux » mais déjà mise en cause dans l'affaire des « fadettes », est au cœur d'un nouveau dossier embarrassant. Le préfet de police de Paris Michel Gaudin a été entendu par la justice en décembre dernier comme témoin assisté dans une enquête sur l'Inspection générale des services (IGS), comme l'a révélé Le Monde. Elle est soupçonnée d'avoir truqué une procédure impliquant cinq fonctionnaires, dont certains réputés proches de la gauche, dans la période de la présidentielle et des législatives de 2007.
Ce service de quelque 80 fonctionnaires n'est pas habitué à se retrouver au centre d'accusations aussi graves. Le cœur de son activité, ce sont les policiers « ripoux ».
C'est l'IGS qui a enquêté, fin 2011, sur l'ex-numéro deux de la police judiciaire lyonnaise, Michel Neyret, mis en examen pour corruption. Le policier, actuellement écroué, est suspecté d'avoir bénéficié de largesses de grands bandits : voyages, prêts de voiture de luxe. Il est également soupçonné d'avoir détourné de la drogue placée sous scellés.
Les policiers de l'IGS ont auditionné trois policiers du Nord-Pas-de-Calais dans l'affaire de proxénétisme qui secoue l'hôtel Carlton de Lille. Il s'agissait pour eux de savoir s'ils avaient joué un rôle quelconque dans ce réseau. Le chef de la Sûreté départementale, Jean-Christophe Lagarde, a été mis en examen pour proxénétisme aggravé en bande organisée et recel d'abus de biens sociaux. Il est suspecté d'avoir fourni des prostitués à plusieurs personnes, dont Dominique Strauss-Kahn.
En dix ans, l'IGS a ainsi réalisé 11 630 enquêtes dites administratives et judiciaires et proposé 2 030 sanctions contre des « ripoux ». Elle est compétente à Paris et dans ses trois départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne). Ses hommes peuvent, cependant se déplacer partout en France et dans le monde si leurs enquêtes l'exigent.
G.A.
En 2003, à Toulouse, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, avait crucifié Jean-Pierre Havrin, directeur départemental de la sécurité publique, lui reprochant d'avoir organisé un match de rugby avec des jeunes au lieu de s'occuper de la sécurité dans les quartiers. « C'était un piège », se remémore-t-il.
Quel jugement portez-vous sur cette affaire de la police des polices soupçonnée d'avoir tenté de nuire à des fonctionnaires marqués à gauche ?
Si elle est avérée, c'est un vrai scandale. Instrumentaliser ainsi la police à des fins politiciennes est une dérive inacceptable dans une démocratie, car cela peut avoir des conséquences catastrophiques. En tant qu'ancien flic, je me pose des questions sur ces faits. Ils interviennent après les affaires Neyret et Carlton et jettent la suspicion sur l'institution policière dans l'esprit des gens. Les flics, qui font un boulot formidable, ça leur fait mal.
Comment analysez-vous les faits ?
De deux choses l'une : soit les enquêteurs ont été emportés par leur élan et outrepassé leurs droits, soit des instructions ont été données par le pouvoir pour virer ces fonctionnaires marqués à gauche. Dans ce cas, il convient de savoir à quel niveau de responsabilité politique cette affaire a été initiée ou validée. Dans mon cas précis, mon éviction en 2003 a été orchestrée au plus haut niveau. J'ai été le conseiller sécurité de Chevènement, alors qu'il était ministre de l'intérieur. Donc j'étais très marqué à gauche. On a clairement orchestré ma mise à mort professionnelle en direct dans les médias. C'était programmé. J'ai été piégé par Sarkozy et Claude Guéant que j'ai bien connu lorsqu'il était directeur général de la police. Ce genre de coup, vous l'imaginez, rend soupçonneux.
Six informations judiciaires ouvertes, le préfet de police et le patron de l'IGS entendus, cela fait beaucoup, non ?
En effet. Le préfet, Michel Gaudin, et l'ancien directeur des renseignements généraux de la police parisienne entendus comme témoins assistés, ce n'est pas rien. Témoins assistés, cela signifie quelque chose dans la hiérarchie des soupçons pour les juges.
Propos recueillis par Serge Bardy
Dossier réalisé par Guillaume Atchouel, Jean-Pierre Bédéï, Serge Bardy
Ladepeche.fr
12.01.2012
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