Au début était le désir exprimé par des journalistes mauritaniens de rencontrer le Président Amadou Toumani Touré du Mali. Cela finira par être une interview sans précédent dans l’histoire « médiatique » du pays.
En effet, ce sont trois organes de presse qui ont été choisis pour aller à Bamako interviewer le Président Amadou Toumani Touré : un journal électronique, tawary-com, un hebdomadaire sur papier, La Tribune et la télévision nationale, TVM pour la presse officielle.
C’est dans le Palais de Koulouba que l’entrevue a eu lieu. Pas de cérémonial particulier. L’homme a l’habitude des rencontres avec les médias.
Juste le conseiller en communication qui introduit le Président avant de demander à tous ceux qui ne sont pas les journalistes ou les techniciens de sortir de la salle, «pour ne pas cristalliser l’attention des intervenants», explique-t-il.
Ce à quoi le Président rétorque : «tu crois que tu es assez beau pour cristalliser l’attention ?»
Le ton est donné quand le conseiller essaye de limiter le temps à trente minutes, «c’est que le Conseil des ministres est dans quelques instants». Réplique du Président ATT : «Je leur donne le temps qu’il faut. De toutes les façons, le Conseil ne peut commencer sans moi, et puis je peux bien décider de le reporter». Décidément… Le Président ATT mérite bien sa réputation d’homme ouvert, tranquille et simple. L’interview peut commencer…
Question : Merci Monsieur le Président de nous recevoir et de nous accorder cette interview. Merci et bonne fête. L’année est celle des cinquantenaires, particulièrement pour les pays de l’Afrique de l’Ouest. Le Mali a commémoré cette fête le 22 septembre dernier, la Mauritanie le fera dans quelques jours. Quel bilan faites-vous de ces cinquante années ?
ATT : Je profite de l’occasion pour vous remercier et prendre la permission de présenter mes amitiés, mes respects pour mes frères et sœurs de Mauritanie. Je remercie aussi la presse mauritanienne pour le choix qui a été porté à ma personne parmi tant d’autres intervenants et le privilège que vous m’accordez pour pouvoir m’entretenir avec vous. Vous avez fait deux fêtes de l’Aïd, l’une à Nouakchott, mardi, et l’autre, mercredi, à Bamako. Vous êtes toujours à la maison.
Lorsqu’on parle aujourd’hui des cinquantenaires, il y a plusieurs icônes. Je pense pour ma part que le bilan est nettement positif. Cessons de nous faire mal, d’avoir de mauvaises impressions de nous-mêmes. Prenez seulement la ville de Bamako et regardez la ville de Nouakchott en 1960. Je ne dis pas que tout a été positif, il manquera toujours quelque chose. Mais je reprendrai volontiers l’expression de mon vieux maître : «très bon mais peut mieux faire».
Prenons le cas du Mali en 1960, nous avions en tout et pour tout 350 kilomètres de routes bitumées, aujourd’hui nous en avons 6000. Nos pères ont eu le privilège d’installer l’Etat avec beaucoup de difficultés, tout de suite après les indépendances. Nous avions moins de 20 cadres de haut niveau, aujourd’hui ils sont au nombre 12500.
Pour les périmètres irrigués, l’Office du Niger avait 50.000 ha aménagés, aujourd’hui nous avons 345.210 ha. Le niveau de vie a également évolué positivement. Je dirai donc que le bilan a été positif. Mais il aurait pu être nettement meilleur.
Pendant ces cinquante ans, il y a eu des épisodes où nous avions perdu le contrôle de notre destin. Nous avons connu des événements politiques, militaires et sociaux extrêmement importants et qui ont perturbé le cours de l’histoire. Nous avons eu certains types de problèmes avec certains de nos partenaires qui nous mettaient dans des situations difficiles. Il faut reconnaitre que nous n’avons pas pu obtenir totalement ce que nous voulions et que nous n’avons pas pu travailler comme nous le souhaitions.
Le plus important pour nous, ce n’est pas nécessairement de faire le bilan, mais d’entrevoir ce que nous pouvons devenir dans cinquante ans. Quel Mali, quelle Mauritanie, quelle sous-région, quelle Afrique allons-nous laisser aux enfants qui ont aujourd’hui cinq ans et qui en auront cinquante-cinq dans cinquante ans ?
Question : Dans cette Afrique où des pays sont en crise, où d’autres cherchent leurs voies, le Mali sonne comme une exception. Avec notamment une dévolution du pouvoir remarquable, avec un président qui refuse de toucher à la Constitution pour pouvoir se représenter une fois de plus… comment expliquez-vous cette exception ?
ATT : Ma vie n’a été cousue que d’exceptions. En 1991, je commandais une unité d’élite de commandos parachutistes. Un beau matin, il y a un coup d’Etat militaire le 26 mars 1991. Lorsque je me suis retrouvé dans les bureaux du président, j’ai demandé au directeur de cabinet et aux anciens quel était le travail de président. Je savais comment commander un régiment de paras mais je n’avais aucune idée de ce que pouvait être un Conseil des ministres.
J’ai eu, par la grâce de Dieu, le commandement de 22 officiers qui étaient là et qui pouvaient être meilleurs que moi. J’ai été choisi parmi les 22 colonels et lieutenants-colonels présents, je n’étais que lieutenant-colonel, pour accomplir cette mission. Et voilà que je me retrouverai dans l’humanitaire dans le continent africain.
Dix ans après, j’ai vu qu’il y avait quand même une cohésion qui manquait à la classe politique malienne. Il y avait l’obligation de nous remettre ensemble pour nous recentrer sur l’essentiel : abandonner la politique politicienne à type occidental qui est fait de confrontations et d’agressions, pour une autre plus ouverte parce que de consensus. C’est ce que j’ai appelé la gestion consensuelle du pouvoir. Opposition et Majorité sont ensemble tout en gardant chacun ses identités, mais avec un objectif commun : le développement de notre pays.
En tant que candidat indépendant, j’ai été élu sans parti politique. J’ai rassemblé les partis pour me faire élire d’abord, ensuite pour gérer le pays pendant cinq ans. L’opposition se faisait à l’Assemblée, autour d’un débat politique extrêmement important. Ce fut la période démocratique la plus animée et la plus difficile que nous avons connue. Il ne faut pas oublier que l’avènement de la démocratie a été dans la peur, le sang et la sueur.
Il fallait savoir raison garder comme disait l’autre. C’est le peuple qui a conquis son pouvoir et à aucun moment il ne fallait oublier. A chaque moment nous devions nous rappeler ce 26 mars, des martyrs, la cassure que notre pays a connue à ce moment-là. Cela permettait de nous inspirer et surtout de garder les pieds sur terre.
A partir de là, le Mali a décidé de prendre une voie de démocratisation par étapes. Le fondement de notre démocratie est basé essentiellement sur le respect des Droits humains. Il est soutenu par une forte décentralisation, mesurée, profonde et responsable. C’est surtout le fait des hommes et la conjugaison avec l’Histoire qui ont permis de donner au Mali une stabilité politique et de nous projeter vers l’avenir.
Lorsqu’on mettait cette Constitution en place en 1991, c’était la Conférence nationale que j’avais présidée. C’était la première grande réunion politique que je présidais. J’ai demandé aux autres «mais pourquoi moi ? pourquoi ce n’est pas l’Imam ou l’Archevêque ?» On m’a répondu simplement «parce qu’on n’a pas trouvé quelqu’un d’autre».
C’est cette Conférence nationale qui a élaboré les textes de base dont l’essentiel est la loi fondamentale, une Constitution. On a pris la peine de limiter les mandats, mais l’essentiel était qu’aucun article de la Constitution ne pouvait changer que par voie référendaire.
C’est pour cette raison que l’article 30 qui fixe les mandats à deux, n’a pas changé. Comme d’ailleurs tout le texte fondamental. C’est comme ça que nous nous sommes donné les instruments et les moyens de pouvoir les gérer. Et nous nous sommes attribué les moyens de blocage pour que les changements ne se fassent pas au gré des majorités.
Aujourd’hui, nous sommes en train de faire une revue profonde du texte fondamental. Quinze ans ou vingt ans après, nous croyons qu’il faut revoir notre processus démocratique. Il y a eu certainement des erreurs, parfois des insuffisances après avoir été confrontés aux réalités du moment.
Nous avons donc décidé de relire nos textes. Mais même dans cette relecture des textes, nous avons préféré garder l’article 30. Parce qu’en définitive, ce qui intéressait les candidats et les autres, c’était tout simplement l’article 30 qui a une particularité : il ne peut changer que par référendum. Si les Maliens décident souverainement de procéder à un référendum pour changer n’importe quel article de la Constitution…
Question : Y compris l’article 30 ?
ATT : Y compris l’Article 30. Les Maliens peuvent le faire. La clé, c’était de dire aucun article ne change que par référendum. Ce qui a permis de limiter les velléités.
Question : En vous écoutant parler de cet article 30, peut-on penser que vous préparer vos compatriotes à le changer ?
ATT : Non. Je suis venu par voie de coup d’Etat militaire, appelons les choses par leur nom. Je suis parti 14 mois après parce que j’estimais que ce n’était pas ma place. Puis je suis revenu. Je me suis présenté à des élections présidentielles libres. J’étais indépendant de tout. Sans parti politique. J’ai été élu et réélu. Je ne vois pas qu’est-ce qui fait que je prépare les Maliens à quoi que ce soit. Dans tous les cas, ma voix n’est qu’une seule. C’est le Mali qui décide et je suivrai la voie qu’il dit prendre.
Question : Cette exception malienne dont on a parlé tantôt, peut-elle être une locomotive dans la sous-région particulièrement dans l’espace OMVS ?
ATT : J’ai toujours voulu être courtois et rester dans les limites de la courtoisie. Chaque pays a ses contraintes et ses particularités. Chaque pays puise certains types de décisions à partir de son histoire propre. Nous avons certes une histoire commune, mais chacun de nous à un parcours propre, une histoire personnelle. La Mauritanie, le Mali, le Niger ou le Burkina Faso, chacun a quelque chose à apporter que l’autre n’a pas.
Il faut la conjugaison des efforts de tous. L’expérience de l’un peut cependant servir l’autre. Pendant la transition mauritanienne a voulu s’inspirer de la transition malienne qui a été réussie. Parce que ceux qui la dirigeaient n’avaient pas l’intention de se présenter. Une délégation mauritanienne est restée parmi nous dix jours durant pour savoir comment nous avions fait. Je leur ai dit à l’époque que je vais commencer à leur dire ce qu’il ne faut pas faire.
Nous avons très bien travaillé ensemble. Nous avons dégagé quelques idées qu’ils ont amenées. Mais ce qu’ils ont amené était une expérience malienne qui va être confrontée aux réalités mauritaniennes. Je vois que la Mauritanie en a tiré profit. Il reste qu’on ne peut pas prendre le registre malien pour aller l’appliquer chez quelqu’un d’autre.
Question : Vous avez parlé d’organisations régionales, pouvez-nous nous dire quelques mots de l’OMVS?
ATT : Je pense que l’OMVS est certainement l’une des meilleures organisations d’intégration sous-régionale d’Afrique. Regarder le bilan. Que ce soit le barrage de Manantali qui permet d’alimenter en électricité une grande partie de nos grandes villes. Je suis parti inaugurer une centrale électrique à Nouakchott avec le Président mauritanien.
Avec les Présidents sénégalais et mauritaniens et le Premier ministre de Guinée, nous avons procédé à la pose de la première pierre du barrage de Félou. Nous préparons pour dans quelques mois, le lancement de la construction du barrage de Wina. Sans oublier l’irrigation, la navigabilité du Fleuve, les effets directs sur les populations avec la distribution des moustiquaires et la construction des routes.
Lorsqu’on fait le bilan, l’OMVS est certainement l’une des meilleures, pour ne pas avoir la prétention de dire que c’est la meilleure organisation sous-régionale. Nous avons toutes les raisons d’en être fiers parce que c’est une expérience commune réussie.
Question : Pour revenir à l’actualité malienne, un parti – le PDS – a été créé récemment par la mouvance qui vous a soutenu pendant la présidentielle. Pourquoi créer un parti à ce moment après avoir été dix ans durant sans parti ?
ATT : Je vous remercie pour cette question qui revient souvent, même chez mes compatriotes. J’ai été élu sans parti. Je ne pouvais pas diriger le pays sans parti politique. J’ai préféré l’option de la gestion consensuelle du pouvoir qui regroupait l’essentielle, sinon l’ensemble des partis politiques maliens, avec les organisations civiles. Pendant ce temps, j’avais une très grande majorité, si large qu’elle englobait tous les courants. J’ai décidé avant et après les élections de ne pas créer de parti.
A partir de ce moment, je ne vois pas pourquoi j’en créerai aujourd’hui. Par ailleurs j’ai pris l’engagement d’être et de rester indépendant. Je pense qu’à ce ment seulement, je peux créer un jeu d’équilibre en donnant à chaque parti de jouer sa chance en toute liberté. Pendant tout ce temps, il y a un groupe d’indépendants formant une partie de la mouvance appelée «le mouvement citoyen» qui a été, il faut le reconnaitre, très proche de moi.
Les jeunes ont dit : «nous voulons créer un parti politique». Je leur ai dit que cela va soulever des incompréhensions pour les dissuader d’en créer un tant que je suis là. Ce sont des jeunes véritablement indépendants qui ont finalement décidé de créer leur parti. Ce parti n’aura pas de toutes les façons à organiser des élections pour moi. Ils ont décidé de participer au débat politique en créant récemment le PDS (parti pour la démocratie et la solidarité, ndlr) qui n’a rien à voir avec ma personne…
Question : Même s’il a les mêmes initiales que le programme de développement économique et social (pdes, programme de ATT, ndlr) ?
ATT : Il manque un E. ils ont un parti pour la démocratie et la solidarité, moi j’ai un programme de développement économique et social. Au plan sémantique, il manque une lettre.
Question : C’est donc une coïncidence ?
ATT : Ce n’est pas une coïncidence. Ils ont fait exprès. Mais je vous dis, les yeux dans les yeux, en tant que musulman, qu’ils n’ont pas demandé mon autorisation. Je n’étais pas pour. Ils sont partis et ils ont décidé pour eux.
Question : Les journalistes ont la fâcheuse habitude de rappeler les mauvais moments, si on peut parler de «mauvais moment» dans le cas. A un certain moment, il y a eu comme des nuages dans les relations entre le Mali et la Mauritanie. Est-ce que tout cela fait partie du passé ou est-ce qu’on peut dire qu’il n’a jamais existé ?
ATT : Dans mon village, il y a un adage qui dit que même la langue peut être mordue par les dents. Il n’y a pas plus de complémentarité et de relations qu’entre les deux pays. Ce n’était même pas un nuage. C’était une petite mésentente que nous comprenons.
La situation régionale, les enjeux que nous avons, la multiplication des menaces avec ce qui peut toucher même à notre cohésion, à notre intégrité territoriale, nous dictent de nous entendre. C’est vrai, nous avons eu quelques difficultés entre les gouvernements mauritanien et malien. Cela était autour d’un terroriste qui avait été arrêté et qui était resté au Mali pour être jugé, que la Mauritanie a souhaité recevoir. Malheureusement, des salafistes avaient piégé et fait otage un français. Ils ont demandé en contrepartie, la libération de ce terroriste.
Nous étions dans une situation très embarrassante. C’est peut-être la décision la plus importante et la plus difficile que j’ai eu à prendre dans ma vie. Fallait-il accepter ou refuser ?
J’avais deux difficultés, l’une avec mon frère, l’autre avec mon ami. Avec mon frère, je pourrai toujours m’entendre. Le cas de l’ami, peut-être qu’il y a la perte d’une vie humaine. J’ai donc décidé de sauver cette vie quitte à travailler plus pour m’entendre avec mon frère. C’est ce qui s’est passé. Aujourd’hui, les choses se passent très, très bien.
Question : Aujourd’hui, les choses se passent très bien avec notamment les incursions de l’Armée mauritanienne au nord du Mali pour éviter des attaques terroristes en territoire mauritanien. Il y a même à présent des patrouilles mixtes dans le nord. Peut-on parler de nouvelles formes de coopération dans ce sens ?
ATT : Nous n’accepterons jamais que la Mauritanie soit agressée à partir de la bande sahélo-saharienne, plus singulièrement à partir du territoire malien. Nous participerons et nous nous engagerons pour la sécurité de la Mauritanie. Nous nous engageons également pour l’intégrité territoriale de la Mauritanie. La sécurité du Mali se joue aussi en Mauritanie. Nos deux pays ont l’une des frontières les plus grandes du monde avec 2200 kilomètres de frontières, dans une zone particulièrement hostile. Nous savons, nous le reconnaissons, que nous n’avons pas les moyens de pouvoir gérer tout cela.
La Mauritanie a fait effectivement une incursion sur le territoire malien dans le cas d’une action de prévention. Le Mali a soutenu. Le Mali a aidé. Je suis militaire, général académicien qui a fait l’école de guerre à Paris, j’admets que je peux faire des erreurs et je ne me prends pas pour un chef de guerre.
Je pense que la solution ne se trouvera pas dans les différentes actions limitées que le Mali ou la Mauritanie pourraient faire. Si nous montons, ils vont monter, si nous descendons, ils vont revenir. Il y a deux facteurs essentiels dans cette situation : le terrain et les populations. Qu’est-ce qu’il faut faire ?
Il faut occuper le terrain et les populations. Il faut rester longtemps pour cela. Pendant des années, ils ont intégré la bande sahélo-soudanienne avec l’humanitaire. Pour les extraire, il va falloir d’abord faire le développement. La solution, c’est le terrain, l’enjeu ce sont les populations. Tant que nous n’aurons pas les populations, nous ne gagnerons pas la bataille.
La solution aussi, c’est de corriger ce que j’appelle un déficit de coordination et de coopération. En définitive nous ne faisons rien ensemble. Chacun agit de son côté et chacun veut donner l’impression que c’est lui seul qui fait. Tout ce qu’on fait se trouve limité. Ce n’est pas durable. En tant que soldat, je pense qu’obligatoirement nous devons évoluer vers une action commune.
En 2006 j’ai demandé l’organisation d’une conférence régionale sur la question. A ce moment, la Mauritanie était dans une situation particulière, c’est pour cela qu’elle n’a pas été invitée.
Mais on s’est dit que dès que la situation se normalise, la Mauritanie qui est une pièce essentielle dans l’échiquier, devrait réintégrer rapidement le processus. Mais jusqu’aujourd’hui, je n’arrive pas à obtenir cette réunion. Si un pays dit qu’il vient, l’autre dit qu’il ne vient pas. D’autres invoquent le temps.
Il y a pourtant des menaces transfrontalières. Aucune de ces menaces n’est destinée directement à nous, mais indirectement elle nous concerne. Dans une bande qui englobe une partie du Mali, de la Mauritanie et même du Tchad. Environ quatre millions de kilomètres carrés, environ ¼ du continent africain. Il faut une action de tout le monde.
Demain, on va aller tous ensemble. L’Algérie a fait une proposition. Nous avons mis ensemble un Etat Major interallié qui compte des officiers maliens, mauritaniens, nigériens et algériens. Cet Etat Major doit être opérationnel en concevant et en programmant des actions militaires concertées et communes. Je pense que c’est là que peut intervenir la solution.
Mais si chacun fait sa guerre, ce sera pour un temps sans résultat pérenne. Il faut très rapidement réactiver ce poste et les postes intermédiaires qui seront mis en place. Tous ensembles nous pourrons arriver à bout des menaces. La solution est commune, une action individuelle peut être spectaculaire sans être pérenne. Il faut occuper le terrain et les populations.
Question : Vous avez récemment qualifié l’intervention de l’Armée mauritanienne d’excellente, c’est votre jugement ?
ATT : J’ai dit en soldat que la Mauritanie avait à entreprendre de telles actions pour pouvoir se mettre à l’abri. Le Mali a le devoir de soutenir la Mauritanie lorsqu’elle est dans une situation particulière. Parce qu’après la Mauritanie c’est le Mali. Et après le Mali, c’est la Mauritanie. Nous avons un destin commun sur lequel nous devons obligatoirement coopérer.
Le Mali a mené des actions ponctuelles pendant deux ans. Nous avons perdu beaucoup d’hommes et beaucoup de temps. Nous avons affaire à des groupes furtifs qui passent de frontière en frontière, en frappant et en reculant quand il le faut. Il faut s’y adapter.
Question : On parle encore de l’opération du 22 juillet menée par l’Armée mauritanien avec un appui logistique français selon l’expression officielle. Est-ce que le Mali était franchement au courant ?
ATT : Je pense que je parle à des frères, je me dois d’être franc. Le Mali n’a pas été informé, ni de près ni de loin. J’étais à Ndjamena quand on m’a appelé pour me dire qu’il y avait eu cette attaque. Deux raisons ont été avancées. La première disant qu’il s’agissait d’une opération préventive. La seconde qu’il s’agissait d’une opération visant la libération d’un otage.
Nous, notre orgueil national a été touché. Dans une certaine limite, notre intégrité aussi a été touchée. Nous avons des accords de droits de poursuite avec la Mauritanie, mais le droit de poursuite a ses règles. Mais nous avons pensé que pour la sécurité de la Mauritanie, le Mali donnait tout.
Il fallait refuser les polémiques inutiles et s’engager sur la voie de la coopération. Mais je vous dis que le Mali n’a pas été informé. Nous n’avons pas été impliqués et nous avons pratiquement assisté à une opération qui a été un échec si l’objectif était de libérer l’otage.
Question : Quand un haut responsable algérien dit que l’activité subversive des bandes terroristes peut déstabiliser les Etats du Sahel, ce pour insister sur la faiblesse des Etats. Comment prenez-vous ce genre de déclarations ?
ATT : D’abord j’avoue que je suis d’accord avec lui. Nous avons une succession de menaces. Les gens ne voient que les terroristes. Nous avons la drogue, les armes, l’insécurité en général. Toutes ces menaces se nourrissent de l’instabilité au Sahel.
Aucun de nous seul ne peut résoudre les problèmes posés. Toutes les menaces sont transfrontalières. Ce qui complique la situation. J’ai toujours prôné une solution transfrontalière. Tous ensemble et en commun. Si cela continue cela peut déstabiliser la sous-région. Elle est déjà déstabilisée.
Lorsque nous voyons, sur la base d’analyses qui ne prennent pas en compte notre avis, du rouge, du vert ou du jeune sur nos régions…, mon village se trouve dans une zone où il ne faut pas aller selon ces indications. Des Mauritaniens, des Maliens, des Nigériens et des Algériens travaillent pendant huit mois de l’année pour pouvoir profiter de la saison touristique.
D’octobre à janvier-février, nous avons dans nos pays cette saison touristique qui fait vivre les populations. Avec ces mesures unilatérales qui auraient pu être discutées avec nous, nous avons des populations dont la source de vie est compromise. Le produit touristique ne se vend plus. Nous sommes en train de les appauvrir encore, de les jeter à la précarité.
Les premiers qui viendront leur proposer des solutions alternatives, seront suivis. Le tourisme est une source qui nous manque aujourd’hui. Au-delà, la déstabilisation dont on parlait peut revêtir plusieurs formes. Mais la forme la plus visible est celle que j’ai décrite.
Je dis et je répète : tant que nous reculons, le terrorisme avancera toujours. Parfois pas physiquement mais psychologiquement. C’est justement cette guerre psychologique qu’il ne faut pas perdre.
Question : Le Président Aziz a tenu à participer aux festivités commémorant le cinquantenaire du Mali indépendant malgré les soucis sécuritaires au lendemain de l’opération de Hassi Sidi. Quels sentiments cela vous laisse-t-il ?
ATT : D’abord le Président Aziz n’a pas le choix. Il ne peut pas ne pas venir au Mali. Pour qui connait nos relations séculaires, nos relations démographiques, ni lui ni moi ne pouvons s’abstenir de ne pas partager l’un avec l’autre ces moments. J’ai été à Kiffa, à Aïoun… Je vais raconter une anecdote. Lorsque j’étais élève officier, nous avons fait un voyage d’études à l’intérieur du Mali, au niveau de la frontière avec la Mauritanie. Un jour, nous jouions au football à la frontière, contre une équipe mauritanienne. La ligne de partage du terrain était la frontière, fictive dirai-je.
C’est ainsi que nous avons joué une mi-temps en Mauritanie et une autre au Mali. Lorsque des pays sont si impliqués, on ne peut pas avoir le choix. Aziz et moi n’avons pas le choix. Nous ne sommes rien par rapport aux relations séculaires.
Lorsque mon jeune frère que je remercie vraiment de tout mon cœur, arrive ici, poussant la courtoisie jusqu’à être le premier chef d’Etat à venir, il accomplit un devoir.
Question : Bienvenue en Mauritanie. Je vous ai entendu sur une radio internationale dire que la dernière attaque a été un succès. La débandade dans les rangs d’AQMI est visible depuis que les Armées malienne et mauritanienne sont ensembles. Il y a eu cet Etat Major commun, puis la coordination en matière de renseignements. Mais quelle est la suite selon vous ?
ATT : La suite c’est la coopération sous-régionale. Le Mali et la Mauritanie ne peuvent pas résoudre à eux seuls ce problème. Uniquement entre nous, nous avons 2.200 kilomètres de frontières, avec l’Algérie ce sont 1.800 kilomètres, avec le Niger 650, comment faire pour tout contrôler. Des actions ont été faites. Mon jugement n’est pas militaire, il est politique.
Je crois que lorsqu’on entame une action dans le cadre de sa propre sécurité, on ne peut tenir un autre langage ou une autre appréciation. Mais je répète que toutes les actions que nous menons aujourd’hui sont ponctuelles. Il faut des actions dans la durée pour aller nettement plus loin. C’est le terrain et les populations qu’il va falloir conquérir.
Il faut corriger le déficit de la coopération sous-régionale parce que tout compte fait on ne travaille pas ensemble. Le Mali et la Mauritanie, peut-être mais un peu. J’avoue que si tout le monde se mettait ensemble, la solution serait trouvée.
Question : Vous suivez certainement l’évolution politique et économique de la Mauritanie. Quelle appréciation en faites-vous ?
ATT : D’abord la Mauritanie d’hier. J’ai un jour causé avec un administrateur colonial qui a servi en Mauritanie, Pierre Messmer l’ancien Premier ministre français. La particularité de la Mauritanie par rapport aux autres pays d’Afrique de l’Ouest, c’est que la Mauritanie n’a pas été colonisée. Je n’avais pas compris. J’ai essayé depuis de mieux comprendre.
Je reste optimiste pour le bilan des cinquante ans. Le Mali et la Mauritanie ont fait chacun son bout de chemin. Pour la Mauritanie nouvelle qui se construit actuellement, le Mali ne peut que s’investir pour sa réussite. C’est l’occasion de parler à mes frères mauritaniens. Nous ne pouvons rien faire de durable que dans la cohésion, l’unité et l’entente.
Il faut tout faire pour éviter la démocratie de type occidental qui est faite d’affrontements. Nous n’avons pas le temps des affrontements qui comportent pour nous de réels risques. Pour moi, l’enjeu fondamental c’est le pouvoir. Et si on faisait une gestion consensuelle du pouvoir, cela permettrait à toutes les compétences, à toutes les synergies de contribuer. On peut ne pas être d’accord sur la manière de faire, mais plutôt sur l’objectif. Cela peut être très utile, comme cela a été pour nous au Mali.
La Mauritanie d’aujourd’hui se construit et le Mali ne peut que s’en réjouir. Cette Mauritanie appartient comme nous à la même organisation. Mais pour l’intégration, nous n’avons pas attendu l’OMVS pour la faire. Depuis des siècles nos espaces sont intégrés.
Question : Est-ce que vous invitez la Mauritanie à revenir à la CEDEAO ?
ATT : Au risque de choquer, je pense que la Mauritanie doit revenir à la CEDEAO. C’est un espace économique créé avec la Mauritanie. Une partie importante des activités de la Mauritanie se déroule dans cet espace. Nous pensons donc que tout en restant dans d’autres organisations régionales, la Mauritanie doit revenir à la CEDEAO.
www.cridem.org
Source : La Tribune (Mauritanie) - 23 novembre 2010