Le système bancaire comporte des rouages qui, intellectuellement, sont assez complexes et presque mystérieux. Chacun de ces rouages dépasse, en effet, de loin le cadre de notre rubrique et pourrait justifier en soi un ouvrage entier. C’est pourquoi des sujets, comme la politique monétaire et du crédit, ainsi que les techniques bancaires telles que les procédures d’octroi du crédit et de recouvrement des moyens de paiement, ne seront abordés que de façon incidente.
Nous nous placerons essentiellement sous l’angle de l’impact institutionnel sur le financement du secteur productif.
Sous le bénéfice de ces observations, nous dirons que nous avons un double regard : celui de patriote et celui de professionnel.
En tant que patriote, nous trouvons troublant que les banques guinéennes ne participent ni par leurs activités de distribution de crédits, ni par celles de collecte de ressources adaptées, au financement du développement du pays. Pour illustrer nos propos, nous allons citer quelques chiffres qui, bien que remontant à plus d’une dizaine d’années, fournissent des tendances restées actuelles.
Dans leur production annuelle, les crédits à moyen à terme représentent treize pour cent (13%), les crédits à long terme ne représentent que trois pour cent (3%) ; alors qu’à eux seuls les crédits à cout terme totalisent quatre vingt quatre pour cent (84%). Les ressources utilisées pour assurer ces concours sont collectées en moyenne annuelle à hauteur de dix sept pour cent (17%) en ce qui concerne les dépôts à terme et de quatre vingt treize pour cent (93%) en ce qui concerne les dépôts à court terme.
Parallèlement, par les profits qu’elles réalisent et malgré leur taille jugée modeste par certains, les entreprises du secteur connaissent une situation florissante. Leur produit net avant impôt s’établit en moyenne annuelle à soixante cinq pour cent (65%) de leur chiffre d’affaires brut. Cependant, ce sont les ressources en agios et celles tirées des transactions du commerce extérieur et de change qui contribuent essentiellement à la formation de ces bons résultats d’exploitation. De ces chiffres, il résulte que la situation du secteur bancaire se caractérise, par :
- La faiblesse de la collecte des ressources à long terme,
- Le niveau élevé des taux d’intérêt,
- L’abondance des ressources à court terme collectées, à savoir les dépôts,
- La prépondérance des financements accordés aux activités d’import-export.
En tant que professionnel, nous dirons que la banque n’est pas une entreprise philanthropique. Par contre, elle joue un rôle déterminant dans le financement de l’économie, notamment en détenant le monopole de faire appel public à l’épargne. D’ailleurs, c’est principalement pour cette raison qu’elle est la seule entreprise, avec les sociétés d’assurances, dont les règles de gestion sont fixées par les lois et par les règlements de chaque pays.
Ces règles ont une double origine : celles édictées par l’autorité monétaire, c'est-à-dire la Banque Centrale, et qu’on appelle la règlementation bancaire et celles adoptées par le pouvoir législatif, c'est-à-dire l’Assemblée Nationale et qu’on appelle la loi bancaire.
La règlementation bancaire qui concerne les règles techniques est étendue. Elle régit à la fois les instruments de la politique de crédit, les conditions d’accès à la profession de banquier, les règles de fonctionnement des établissements de crédit et le contrôle prudentiel qui porte sur le respect d’un certain nombre de ratios ; à savoir le coefficient de liquidité, le coefficient de fonds propres et de ressources permanentes et les fonds propres prudentiels. Elle a également une dimension internationale, c'est-à-dire comportant des normes fixées à l’échelon international par un Comité dit Comité de Bâle créé en 1976, à suite de la faillite d’un important établissement de crédit Allemand, la banque HERSTATT.
Ce Comité est résolument orienté vers la prévention des crises bancaires. Il surveille des activités internationales suivant un mode de coopération entre pays d’origine et pays d’accueil de l’activité concernée. Aussi, fixe-il des normes prudentielles dont la première a été décidée en 1988 et qui est un ratio de solvabilité appelé ratio Cooke, du nom de son auteur.
Lors de ce qu’on a baptisé Bâle II, qui s’est tenu dans les années 1990, le ratio Cooke a été enrichi et est devenu le ratio McDonough que l’on désigne indifféremment ratio de solvabilité ou d’adéquation des fonds propres. Au delà de l’approche « mécanique » du calcul des fonds propres, le comité de Bâle a souhaité définir plus précisément les conditions de fonctionnement du marché bancaire. C’est pourquoi l’accord de Bâle II repose en fait sur trois « piliers ». D’abord l’exigence en fonds propres, ensuite le processus de surveillance prudentielle qui renforce le pouvoir des autorités monétaires en leur donnant la latitude de majorer les exigences des capitaux réglementaires en cas de nécessité, et enfin la discipline de marché qui décrit l’ensemble des documents que les banques doivent rendre publics afin de se conformer à la réglementation pour le calcul des fonds propres et l’exposition aux risques de l’établissement.
Ce dispositif de Bâle est complété par les normes internationales d’information financière, plus connues au sein de la profession comptable et financière sous leur nom anglais d’International Financier Reporting Standards ou IFRS qui sont des normes comptables élaborées par le Bureau des standards comptables internationaux (International Accounting Standards Board ou IASB en anglais) et destinées aux entreprises cotées ou faisant appel à des investisseurs afin d’harmoniser la présentation et la clarté de leurs états financiers. Les IFRS existent depuis 1973, mais la nécessité de leur application à l’échelle planétaire s’est imposée après les scandales financiers du début des années 2000 en Europe et aux Etats-Unis (Enron, WorldCom….).
Il faut noter que le ratio MCDonough et les IFRS n’ayant directement force de loi, leur intégration dans la réglementation bancaire interne relève de la compétence exclusive de la Banque Centrale par voie de règlements ou d’instructions.
L’origine législative des règles qui régissent l’activité et le contrôle des banques est en GUINEE la loi L/2005/010/AN du 4 juillet 2005. C’est elle qui fixe les principes législatifs, en particulier en ce qui concerne le modèle économique auquel les banques doivent se conformer et en conséquence la forme d’intermédiation qu’elles doivent adopter. Nous précisons que c’est la forme d’intermédiation bancaire qui détermine toujours le degré d’implication des acteurs du secteur dans le processus de financement du secteur productif, créateur d’emplois et de richesse.
C’est pour dire qu’il pèse sur l’activité bancaire de multiples contraintes qui en font un métier complexe.
Le législateur Guinéen a opté pour le concept de banque universelle comme modèle économique des établissements de crédit. Ce qui signifie que chaque établissement est autorisé à faire tous les types d’opérations de banque qui passent par la réception de fonds du public, les opérations de crédit, la mise à disposition de la clientèle et la gestion des moyens de paiement jusqu’aux opérations de change ainsi que le conseil et l’assistance en matière de gestion du patrimoine ou financière. Comme l’entreprise bancaire n’est pas une entreprise de philanthropie, leurs dirigeants sont alors poussés dans ce contexte, eu égard à leurs obligations prudentielles et de rentabilité, à développer des stratégies sur des opérations à forte marge et à faible valeur ajoutée. C’est ce qui explique la prépondérance, parmi l’activité du secteur bancaire, de la distribution des crédits à court terme et corrélativement de la collecte des dépôts à court terme, au détriment de la collecte des dépôts et de la distribution des crédits, à moyen et long termes nécessaires pour la création et le développement des activités productrices, c'est-à-dire la mise en valeur des gigantesques ressources naturelles du pays à la fois agricoles, halieutiques et minières.
Ce décalage entre les principaux aspects de la législation bancaire et les objectifs de dynamisation du secteur productif est généralement compensé par le recours à l’aide extérieure. Or, depuis l’éclatement de la crise de la dette en 1982, il y a un tarissement des financements privés vers le tiers monde, du moins vers l’Afrique subsaharienne, zone géographique à laquelle appartient la Guinée. Les financements publics (bilatéraux et multilatéraux) qui ont pris le relais connaissent un ralentissement continu depuis 1991. Ce ralentissement de l’aide publique au développement (APD) s’explique, notamment, par l’intérêt grandissant des bailleurs de fonds pour l’ex Union Soviétique, les pays de l’Europe de l’Est et ceux émergents ainsi que par la montée des déficits publics des pays industrialisés. La crise actuelle dans les pays visés est là pour l’attester. L’apparition de nouveaux modes d’intervention, notamment, les financements innovants et ceux dits structurés, en dit long sur la situation.
Désormais le recours massif à l’aide publique extérieure pour le financement du développement pose, aux pays concernés, un véritable problème de souveraineté nationale. D’où la nécessité d’organiser, dans le cadre d’une démarche volontariste, la collecte de l’épargne intérieure.
Il existe une volonté politique forte exprimée par le Président de la République dans son projet de société de procéder à une réforme profonde du système bancaire pour faciliter le financement du secteur productif, dont le développement doit conduire à des créations massives d’emplois pour toutes les couches des populations Guinéennes et surtout pour les jeunes. Il n’a pas manqué de la réaffirmer depuis son arrivée au pouvoir. La force et la constance de cette volonté feront sans doute échec à toute tentation de procrastination.
Il existe plusieurs pistes de solutions de réformes parmi lesquelles les trois qui retiennent particulièrement l’attention seront abordées ici.
La première est la création d’une banque de développement : historiquement, la manifestation la plus récente du concept de banque de développement remonte à l’après-guerre, avec la création de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement qui est l’ancêtre de la Banque Mondiale. Il s’agissait de permettre la reconstruction de l’Europe en y finançant des investissements productifs. Le plan Marshall, financé par l’aide publique, fut un volet essentiel de cette stratégie de reconstruction d’une Europe en ruines.
Après les indépendances, le concept de banque de développement est apparu comme un des meilleurs vecteurs de l’acheminement de l’aide publique au développement, en particulier vers les pays africains
Plusieurs pays de l’Afrique subsaharienne se dotèrent alors des établissements de ce type. Le contexte était favorable : les tendances étatistes étaient partout développées, et les flux financiers à destination de l’Afrique étaient abondants.
Cependant, l’expérience de la banque de développement a connu une fortune plus ou moins malheureuse dans les pays concernés. Ces échecs s’expliquent par plusieurs raisons, à savoir :
- La mauvaise utilisation des ressources mises à la disposition ou collectées par ces établissements ;
- Le tarissement des financements privés et le ralentissement de l’aide publique ;
- La tendance de plus en plus forte de faire du secteur privé le moteur du développement, non pas que l’Etat ne doit pas intervenir dans la vie économique, mais devant jouer un rôle d’impulsion et de réduction des inégalités.
Il s’y ajoute que la plupart des banques de développement qui ont été établies ont été conçues sur le modèle de banque universelle telle que caractérisée plus haut.
Aussi, il semble que la solution de réforme la plus simple pour dynamiser le secteur productif est pourtant celle qu’il ne faut pas mettre en œuvre.
La deuxième solution est la création d’un réseau parallèle d’établissements de crédit à statut spécial, à l’instar des institutions financières à statut spécial. Dotées de fonds publics, ces institutions ont été créées en France par une loi du 2 décembre 1945 pour assurer le financement d’une reconstruction rapide du pays, à la fin de la seconde guerre mondiale. Cette loi qui ouvre la voie à la spécialisation bancaire et à la segmentation des financements par nature d’opérations permet de confier aux dites institutions des missions d’intérêts publics limitées à un domaine précis, par exemple le financement du logement social et de l’immobilier ou celui des PME de telle ou telle filière d’activité productive. Le contexte est celui du plan Marshall qui prévalait en France à cette période.
Une fois la reconstruction achevée et que l’économie Française commence une intégration active dans le marché commun, la coexistence de deux réseaux bancaires (celui des banques à réseau et celui des IFS) commence à poser plus de problèmes qu’elle n’en résolve, ceci à cause des nombreuses distorsions à la concurrence au profit des IFS. Outre que cette situation est source d’inflation et d’incohérence, il apparaît que des secteurs de financements entiers connaissent une pénurie alors que d’autres sont dans une situation favorable, les taux d’intérêt pratiqués varient d’un secteur à l’autre et ayant le monopole de certains crédits bonifiés, les institutions financières spécialisées se constituent des clientèles captives. Il a fallu plusieurs réformes, celle dites Debré-Haberer de 1966-1969 et celle réalisée en 1984 grâce au courage politique de l’ancien ministre des finances, Pierre BEREGOVOY, pour avoir une seule catégorie d’établissements, appelés établissements de crédit et le décloisonnement des marchés sur lesquels ils interviennent.
Ainsi, il apparait qu’il est nécessaire de mettre en œuvre aujourd’hui des solutions nouvelles de réforme.
La troisième solution est la création d’un modèle de système bancaire à forte valeur ajoutée : cette démarche passe par l’identification et l’élimination de toutes les contraintes législatives et réglementaires qui constituent, autant d’obstacles à l’adoption par les banques d’une politique de crédit adaptée aux besoins de financement du secteur productif.
En instituant une plus grande spécialisation par fonction, la réforme doit, à la fois, créer un véritable courant d’affaires et susciter une réelle concurrence entre les acteurs du secteur tant pour la collecte des ressources internes à long terme que pour la distribution des prêts à moyen et long termes. Dans ce contexte de marché c’est-à-dire, d’une confrontation permanente de l’offre et de la demande, de tels concours doivent profiter en priorité, en termes de conditions bancaires, à tous les projets porteurs, notamment, dans les filières du riz, de l’huile et corps gras, du café, du coton, des fruits et légumes, de l’élevage et de la pêche.
Compte tenu de l’importance de la collecte des dépôts, la réforme peut être mise à profit pour examiner la possibilité d’assurer le financement des investissements par des ressources courtes (la “transformation” d’une épargne courte - les dépôts des clients - en épargne longue - les prêts accordés à d’autres clients).
La “transformation” implique le développement des opérations de création monétaire (les crédits font les dépôts) pour financer les investissements : dans une situation caractérisée par une inadaptation entre épargne et investissement, la création de monnaie permet en effet d’anticiper sur la formation de l’épargne (création de richesses futures).
En assurant le financement d’investissements supplémentaires (augmentation à court terme de la demande de crédits) par rapport à ceux que l’épargne existante aurait permis de financer, la transformation est considérée comme un facteur qui favorise, ou tout au moins accélère, l’inflation lorsqu’elle n’est pas organisée par les pouvoirs publics.
Paris le 28 aout 2011 Mamadou N’DIAYE
Président de la Convention des Patriotes Unis pour la Mobilisation des Ressources d’Appui au Changement en GUINEE
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