Le premier président guinéen élu démocratiquement, en décembre 2010, après cinquante ans de dictature, est en visite officielle à Paris. Il répond aux questions du Figaro.
LE FIGARO. - Monsieur le président, qu'attendez-vous de votre visite en France ?
Alpha CONDÉ. - Je tiens tout d'abord à remercier la France pour la très bonne coopération entre nos deux pays depuis mon élection. Je veux combler le fossé creusé entre nos deux pays depuis le «non» de Sékou Touré à la Communauté française proposée par le général de Gaulle.
De quelle façon la France peut-elle vous aider à doter la Guinée d'une armée républicaine qui renonce aux coups d'État ?
Paris nous aide à organiser le 28 mars un séminaire sur ce sujet. Nous allons mettre à la retraite 4200 militaires, avec des mesures d'accompagnement. L'armée, nous allons la faire participer à la vie économique. Elle va construire des routes, rénover des usines, et nous sommes en train de créer une brigade agricole. D'ici deux ans, l'armée sera complètement restructurée. La France est le pays qui nous aide le plus dans ce domaine, avec les États-Unis.
Quelles mesures concrètes avez-vous prises et quelles mesures allez-vous prendre pour lutter contre la corruption ?
La Banque mondiale a désigné la Cour des comptes française pour un audit. Elle nous a conseillé de geler tous les contrats passés en 2009-2010. Nous allons les annuler. Selon le rapport de la Cour des comptes, ce qui coûtait 1 franc guinéen nous était vendu à 256 francs! Les différents secteurs de l'État ne peuvent plus avoir des comptes séparés. Tous les comptes sont désormais centralisés au Trésor. Nous avons donné un mois pour payer à tous ceux qui devaient de l'argent à l'État. Ceux qui n'ont pas payé, nous avons publié leurs noms et ils seront poursuivis en justice. Vous savez, le système était tellement gangrené que, sur dix fonctionnaires, huit ou neuf sont concernés. Comme me l'a demandé l'imam de la grande mosquée, nous allons nous concentrer sur les grands voleurs plutôt que sur les petits.
La Guinée est un des rares pays d'Afrique de l'Ouest à ne pas utiliser le franc CFA. Allez-vous changer cela ?
Ma priorité, c'est d'assainir la situation économique et financière. Mais il est évident que la Guinée ne peut rester isolée comme sur la planète Mars.
Que pouvez-vous faire, concrètement, pour attirer les entreprises françaises ?
Je ne suis pas l'ami de la «Françafrique», tout le monde le sait. Personne ne peut mettre en cause mon nationalisme, c'est pourquoi je me sens à l'aise pour demander à la France de faire venir des assistants techniques pour la douane, pour le port, pour les impôts, la justice et l'armée. Voilà pour l'environnement des affaires. J'ai pris contact avec la firme française Géocoton pour relancer la production de coton. Je vais rencontrer le PDG d'EDF, Henri Proglio. Cette coopération doit se faire dans un nouvel esprit de respect mutuel, et selon une formule gagnant-gagnant. Je suis venu pour dire aux chefs d'entreprise français que l'on peut faire des affaires en Afrique, mais dans un nouvel esprit de transparence. Il faut abandonner l'idée qu'il y a des chasses gardées pour la France. Moi qui ai passé de nombreuses années en France, je souhaite le retour des entreprises françaises.
La société Socotrans vous accuse devant la justice française d'avoir dénoncé son contrat de gestion du port de Conakry au profit de la société Bolloré, sans appel d'offres. Quelle est votre réponse ?
Les services techniques et juridiques ont démontré que cette société n'a pas respecté ses engagements, et j'ai pris une décision souveraine pour les intérêts de la Guinée. Bolloré était numéro 2, la société Maersk était numéro 3. Ils ont décidé de travailler ensemble, il n'y avait donc pas lieu de lancer un autre appel d'offres
Quelle est votre position sur le drame ivoirien ? Laurent Gbagbo doit-il partir ?
Je pousse mes collègues chefs d'État à établir un dialogue entre le président Gbagbo et le président Ouattara. On a pu arriver à une solution africaine au Kenya, pays qui était au bord de la guerre civile. Si on laissait les Africains régler leurs problèmes, on y arriverait plus facilement.
Cela veut-il dire que vous préconisez une solution politique et non pas militaire ?
Je ne vois aucun pays africain qui soit prêt à envoyer des troupes. Je suis pour les solutions pacifiques en Afrique.
Une solution à la kényane, cela veut-il dire le partage du pouvoir, comme dans ce pays ?
Non, j'ai simplement évoqué le Kenya comme exemple. Je n'ai pas de schéma tout prêt. Je constate simplement qu'à Abidjan on se tire dessus à l'arme lourde, et que c'est le peuple qui meurt.
Le départ de Mouammar Kadhafi ne serait-il pas une bonne chose pour l'Afrique ?
Je n'ai pas à porter de jugement sur un dirigeant. Si les présidents des cinq régions avaient pu se rendre à Tripoli comme ils en avaient l'intention avant les frappes, l'Afrique pouvait résoudre la crise libyenne comme elle aurait pu résoudre la crise ivoirienne. On ne peut ni laisser un dirigeant massacrer son peuple ni laisser des puissances extérieures tirer sur l'Afrique.
Le peuple libyen peut-il se libérer lui-même ?
Personne en Europe n'imaginait que les Égyptiens ou les Tunisiens pouvaient se libérer eux-mêmes. Moi, je fais confiance aux peuples africains. On parle du printemps arabe, mais, comme le démontre mon élection, nous vivons actuellement un printemps africain.
Par Pierre Prier
Le Figaro.fr
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Akoye Massa ZOUMANIGUI (mercredi, 23 mars 2011 15:05)
Le Président Alpha Condé n'est pas clair. S'il a raison qu'il ne faut pas résoudre les problèmes africains par les armes, il n'a pas eu néanmoins le courage de dire que son ami Laurent Gbagbo qui est venu au pouvoir grâce au soutien de la rue a empêché cette démarche quand des ivoiriens ont voulu se manifester par une marche pacifique. Si le Général Robert Guey n'a pas eu le courage de mobiliser l'armée, notamment la Gendarmerie, pour barrer la route aux manifestants qui soutenaient Gbagbo, son adversaire à l'élection de 2000, Gbagbo aussi n'avait pas le droit de faire sortir l'armée pour s'opposer aux manifestants qui soutenaient eux aussi Alassane Ouattara. Et cette armée a même tiré sur ces manifestants. Où est la logique. Pourtant, c'est Gbagbo qui a organisé les élections. S'il y a balotage entre les deux candidats, c'est que l'adversaire a gagné. Surtout qu'il n'y avait pas de balotage, le président de la CEI l'a affirmé.
Mais aussi le Président Guinéen devait tout au moins condamner le Président de la Cour constitutionnelle ivoirienne d'avoir eu le courage d'annuler les voix de 7 régions du Nord. Parce que dans ces conditions, c'est plutôt une annulation de l'élection qu'il devait prononcer et proposer une autre date pour la reprise. C'est ce que j'appelle la logique démocratique en matière d'élection.
Mais je comprends aussi tous ceux qui soutiennent Gbagbo: ce n'est pas facile de reconnaître la défaite de son ami.