La junte qui a renversé mardi le président malien Ibrahim Boubacar Keïta va mettre en place "un président de transition", qui sera "un militaire ou un civil", a affirmé jeudi son porte-parole dans une interview à la télévision France24.
"On va mettre en place un conseil de transition avec un président de transition qui va être ou un militaire ou un civil. On est en contact avec la société civile, les partis d'opposition, la majorité, tout le monde, pour essayer mettre en place la transition", a affirmé le porte-parole de la junte, le colonel-major Ismaël Wagué.
"Ça va être une transition qui va être la plus courte possible", a dit le porte-parole, alors que le second mandat du président Ibrahim Boubacar Keïta, qui a annoncé qu'il quittait ses fonctions dans la nuit de mardi à mercredi, alors qu'il était aux mains des putschistes, devait s'achever en 2023.
Ce n'est "pas une histoire de 2023, 2022", il faut "finir cette transition le plus vite possible et nous on va retourner à autre chose", a dit le colonel-major, l'une des figures du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) qui dirige actuellement le pays.
"Je ne peux pas vous dire quand on va transférer le pouvoir aux civils parce qu'il faut mettre en place la transition", a t-il dit à la télévision française.
Le porte-parole a réfuté que le président Keïta, qui avait affirmé n'avoir pas d'autre choix, a démissionné sous la contrainte. "Il n'avait pas le choix parce que lui-même a vu comment les gens souffraient. Ça ne veut pas dire qu'il n'avait pas de choix parce qu'on avait braqué des armes sur ses tempes", assuré le colonel-major.
De son côté, le président français Emmanuel Macron a condamné "un coup de force militaire contre un dirigeant démocratiquement élu" et a demandé à ce qu'Ibrahim Boubacar Keïta "soit relâché le plus vite possible et qu'aucune violence ne soit faite".
Le président français a également appelé à ce que le pouvoir "soit rendu le plus rapidement possible aux civils, et qu'une transition rapide et démocratique soit assurée", en soulignant que la stabilité du pays et la lutte contre le terrorisme était une priorité de la France.
Le colonel-major Ismaël Wagué a justifié une nouvelle fois l'intervention des militaires par l’existence d'un "blocage au niveau du pays" depuis longtemps. "Une partie de la population souffrait. Au niveau même de la défense, il y avait beaucoup de dysfonctionnements dans l'armée. Les militaires n'étaient plus en mesure de faire leur missions régaliennes".
"Le niveau de corruption était trop élevé. Je vous dis clairement, je préfère éviter le mot coup d'Etat parce que ça n'en est pas un", a-t-il poursuivi. Quant au sort de l'ex-dirigeant malien, "ce n'est pas à nous de le décider. (C'est au) système judiciaire de le décider. C'est pas notre travail".
Il a par ailleurs déclaré que le CNSP "n'a aucun lien avec le M5", le mouvement de contestation, formé de chefs religieux, de la société civile et d'hommes politiques, qui réclamait depuis juin la démission du président Keïta et qui a salué l'intervention de l'armée.
Les pays voisins réclament le retour de Keïta
Les pays voisins du Mali, réunis en Sommet extraordinaire, ont réclamé jeudi le "rétablissement" du président malien Ibrahim Boubacar Keïta. Les dirigeants de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) étaient réunis en sommet virtuel trois jours après le renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta, dit "IBK", toujours aux mains des militaires putschistes.
"Nous demandons le rétablissement du président Ibrahim Boubacar Keita en tant que président de la République" du Mali, a déclaré le chef de l'Etat du Niger - limitrophe du Mali - Mahamadou Issoufou, à la fin de ce sommet qui a également décidé "de dépêcher immédiatement une délégation de haut niveau pour assurer le retour immédiat de l'ordre constitutionnel".
"Le Mali est dans une situation critique, avec des risques graves qu'un affaissement de l'Etat et des institutions n'entraîne des revers dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé", a poursuivi M. Issoufou, président en exercice de la Cédéao, rappelant aux putschistes "leur responsabilité" quant à "la sécurité du président Ibrahim Boubacar Keita et des officiels arrêtés".
A l'ouverture du Sommet, M. Issoufou avait rappelé qu'en 2012, un précédent coup d'Etat militaire à Bamako avait permis à des groupes islamistes armés "d'occuper pendant plusieurs semaines les 2/3 du territoire malien".
Au Mali, la Cédéao va mener des discussions et "faire comprendre aux responsables de la junte militaire que les temps de prise de pouvoir par la force sont révolus dans notre sous-région", a ajouté le président Issoufou, demandant "la mise en oeuvre immédiate d'un ensemble de sanctions contre tous les militaires putschistes et leurs partenaires et collaborateurs".
Dans la capitale malienne, des soldats étaient postés jeudi devant la cité administrative, qui abrite la plupart des ministères, a constaté un correspondant de l'AFP. Mais les habitants, qui ont généralement bien accueilli le changement de régime, vaquaient normalement à leurs occupations, notamment sur les marchés.
Des élections dans un "délai raisonnable"
Elu en 2013 et réélu en 2018 pour cinq ans, le président Keïta faisait face depuis des mois à une contestation sans précédent depuis le coup d'Etat de 2012. Il a été contraint d'annoncer sa démission et la dissolution de l'Assemblée nationale et du gouvernement dans la nuit de mardi à mercredi, après avoir été arrêté par les putschistes.
Outre le président et son Premier ministre Boubou Cissé, les militaires ont également arrêté plusieurs hauts responsables, parmi lesquels le ministre de la Défense et celui de la Sécurité, les généraux Ibrahima Dahirou Dembélé et M'Bemba Moussa Keïta, le président de l'Assemblée nationale Moussa Timbiné et le chef d'état-major de l'armée, le général Abdoulaye Coulibaly.
Tous étaient toujours détenus jeudi soir.
Le Mali est dorénavant dirigé par un Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avec à sa tête un colonel, Assimi Goïta, et promis des élections dans un "délai raisonnable".
Le nouvel homme fort du Mali, un officier d'une quarantaine d'années issu des meilleures écoles militaires du pays, dirigeait jusqu'à présent les forces spéciales dans le centre du pays, une région en proie depuis 2015 aux attaques jihadistes qui ont causé de lourdes pertes civiles et militaires.
Ces attaques, mêlées à des violences intercommunautaires, ont débordé sur les pays voisins, Niger et Burkina Faso.
Ces dernières semaines, la Cédéao avait échoué a résoudre la crise opposant, depuis les législatives contestées de mars-avril, IBK au "Mouvement du 5-Juin" (M5), une coalition hétéroclite d'opposants politiques, de religieux et de membres de la société civile.
L'organisation ouest-africaine avait réclamé un gouvernement d'union nationale mais fait du départ forcé du président Keïta une "ligne rouge".
Le M5 s'est félicité du putsch et s'est dit prêt à élaborer avec la junte une transition politique. Il compte organiser vendredi de grands rassemblements pour "fêter la victoire du peuple malien".
A l'instar de l'ONU, de la France ou des Etats-Unis, l'ONG Amnesty international a appelé jeudi les auteurs du coup d'Etat à libérer immédiatement les personnalités arrêtées et réclamé une enquête sur la mort par balles de quatre personnes lors des événements de mardi, alors que la junte affirme qu'il n'y a eu aucune victime.
La communauté internationale a unanimement condamné le coup d'Etat, bien que les mutins aient assuré que les forces de l'ONU, françaises et ouest-africaines présentes au Mali demeuraient leurs "partenaires" et respecteraient à l'accord de paix signé en 2015 entre Bamako et les groupes armés du Nord du pays.
Euronews avec l'AFP
Le 20 août 2020