Frédéric Farah : Les mécanismes de règlement des différends ne sont pas nouveaux : dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, au sein des Nations Unies, le souci de protection des investissements réalisés à l'étranger par des firmes a été exprimé. Cette protection visait, selon ses défenseurs, à lutter contre les expropriations abusives, à permettre des transferts de fonds des firmes vers les filiales et à s'assurer qu'entre un Etat et un investisseur, il n'y ait pas de modification arbitraire des termes des traités bilatéraux.
Par ailleurs, outre le traité trans-pacifique que vous mentionnez, il y a 3200 traités bilatéraux d'investissement dans le monde qui sont assortis de mécanismes de règlement des différends.
Au moment de la mise en place des mécanismes de règlement des différends par la Convention de Washington de 1963 - accompagnée de la création de deux tribunaux, l'un qui était lié à la Banque mondiale et l'autre aux Nations unies -, il y avait une méfiance des vieilles nations industrialisées à l'égard des pays en développement. Leurs arguments consistaient à dire que ces pays n'offraient pas les garanties juridiques suffisantes – car ils n'avaient pas d'appareil judiciaire compétent- et qu'il était préférable de recourir à un tribunal d'arbitrage pour s'assurer de la protection des investissements. D'une certaine manière, cela exprimait une défiance à l'égard de ces pays et à travers cette défiance, il y avait une remise en question, peut-être relative, de leur souveraineté.
L'histoire des traités bilatéraux des années 1950 à nos jours est celle des rapports entre les pays en développement –anciennement appelés pays du "Tiers monde"- et les pays développés. Dans les années 1950-1970, s'est développé un courant économique qui considérait qu'il fallait lutter contre un échange inégal parce que les rapports commerciaux entre le "Tiers monde" et les pays développés étaient marqués par la domination des pays riches sur les pays pauvres. Dans les traités d'investissement de l'époque, les différents pays pauvres ou en développement étaient préoccupés par la préservation de la souveraineté même s'ils avaient besoin de ces investissements pour leur développement.
Aujourd'hui, la question de la souveraineté continue de se poser. Dans la mesure où sur ce sujet, les Etats développés réagissent assez vite, on peut comprendre que les pays en développement le fassent aussi, d'autant plus que nous ne sommes plus dans la situation des années 1950-1970 comme en témoigne la puissance de pays qui étaient autrefois jugés pauvres et qui aujourd'hui s'affirment.
Comment corriger les effets pervers sans renoncer aux bienfaits du libre-échange pour ces pays en développement ?
On retrouve une question encore une fois ancienne. Quand on observe l'histoire du libre-échange, on voit que dès le 19e siècle s'étaient développés à l'intérieur de l'Europe des mouvements de fair trade (commerce juste). Dès le 19e siècle, a ainsi émergé l'inquiétude que le libre-échange s'accompagne de certains déséquilibres. En 1869, au moment de la signature d'un traité de libre-échange entre la France et l'Angleterre, l'homme politique français Adolphe Thiers déclare "le libre-échange, c'est le droit du plus fort".
Pour que le libre-échange soit profitable, il faut que les accords permettent des ouvertures progressives afin que certains secteurs ne soient pas exposés trop brutalement à la concurrence. Il faut également accepter que pendant un temps transitoire, il y ait un certain protectionnisme. Cela peut paraitre paradoxal mais ça ne l'est en réalité pas. En 1841, List, qui était un défenseur du protectionnisme, avait une thèse qui ne s'opposait pas complètement au libre-échange, mais consistait à dire qu'il fallait un temps de protectionnisme pour préparer au libre-échange.
Selon les secteurs les plus exposés, les plus vulnérables, il faut, secteur par secteur, essayer d'admettre une progression d'ouverture relative : si aujourd'hui on met en concurrence l'agriculture du Mali avec celle des Etats-Unis sans garde-fous, le rapport de force est tellement déséquilibré que l'agriculture malienne ne pourra résister.
Il faut donc une ouverture progressive pour que le libre-échange fasse sentir ses effets positifs.
atlantico.fr
Le 21 septembre 2016
Écrire commentaire