Christophe Cassiau-Haurie est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages collectifs sur l’état de l’édition en Afrique et plus particulièrement de la bande dessinée. Pour Africultures, il retrace régulièrement l’histoire du « neuvième art » pays par pays. Dans cet article, Cassiau- Haurie décrypte le panorama de la bande dessinée en Guinée, où le 9e art reste encore balbutiant, limité à quelques noms sans constituer un mouvement particulier. Avec toutefois tout l’avenir devant elle et des personnalités qui ne manquent pas de se faire remarquer sur la scène panafricaine.
Le milieu de l’édition Guinéenne se limite, pour l’essentiel, à Ganndal, créée en 1992 par Aliou Sow, principal éditeur du
pays, Les classiques guinéens (qui publient
en partenariat avec la maison Saint Paul) et
la SAEC (Société Africaine d’Edition et de
Communication), également créée en 1992 juste après la libéralisation du régime, par l’écrivain et historien Djibril Tamsir Niane[1].
Ganndal a développé un secteur jeunesse et a co-édité plusieurs
albums avec des partenaires français et canadiens. Son catalogue compte plusieurs collections pour la jeunesse : Le serin (pour les enfants de maternelle), La libellule (pour les enfants qui s’initient à la
lecture), Go&Gars (Public
adolescent), Nimba (découverte des instruments de musique), La case à palabre (textes courts pour les enfants apprenants)
et Je découvre (albums illustrés) – soit une cinquantaine d’ouvrages pour les
enfants. Une partie de cette production a bénéficié de plusieurs formations d’illustrateurs avec l’association Illusafrica. Malheureusement, ils n’ont pas particulièrement investi le
secteur de la bande dessinée à l’exception de L’interlocuteur, bande dessinée de sensibilisation des jeunes sur les méthodes et techniques de contraception publiée en 1997. La société est à l’origine du Salon international du livre pour
la jeunesse de Conakry, créé en 2017.
Pour sa part, la SAEC en a publié deux bande dessinées : la première est Mariam et Hamidou : Un diamant extraordinaire, une BD d’appoint au
manuel scolaire de CM1 et CM2, sortie en 1997 avec l’appui de l’ACCT (devenu Organisation Internationale de la
Francophonie) ; la seconde a été éditée en 2006, Le téléphone de Siré, qui raconte l’histoire de la perte d’un téléphone
par une jeune fille. Cette dernière a été scénarisée par une lycéenne de 16 ans : Siré Komara.
Toutes ces œuvres ont été dessinées (et scénarisées pour deux d’entre elles) par Mory Diane (né en 1957), qui a également illustré près d’une vingtaine d’albums
pour la jeunesse ainsi que des livres scolaires, dans le cadre de son travail à L’Institut National de Recherche Pédagogique (INRAP).
Il est aussi, et surtout, l’un des premiers dessinateurs de bande dessinée du pays dans les années 90, avec quelques œuvres de commande dont les trois titres déjà mentionnés. Ceux-ci avaient été précédés en 1995 par Fatim et Rama, édité dans le cadre d’une campagne de sensibilisation pour la scolarisation des filles soutenue par la coopération américaine (USAID). Mory Diané a également travaillé sur des projets d’aide au développement, comme en 1994 avec le projet Éducation en matière de population de l’Unesco qui a donné lieu à deux bandes dessinées de bonne facture : Le destin (sur le contrôle des naissances) et Tentation (sur le Sida). Il a également dessiné pendant trois ans pour le trimestriel École propre, école verte, financé par l’UNICEF. Depuis 2012, il collabore à la revue de BD et d’humour Bingo! et cette même année a illustré Les aventures de Fabou et Sidiki (1er épisode), album de BD scénarisé par Kaman Camara (décédé depuis) et imprimé à compte d’auteur à l’imprimerie de la Mission catholique de Conakry.
Depuis, Mory Diane a travaillé sur d’autres bandes dessinées, toutes de commande. Ce fut le cas de Prince parmi les esclaves, album financé par l’Ambassade des Etats-Unis en Guinée. L’abum raconte l’histoire d’un jeune capturé en 1788, et rendu esclave pendant près d’un demi-siècle Ibrahima «Prince» de Timbo. Celui-ci retrouvera sa liberté avec toute sa famille, grâce à l’implication du président John Quincy Adams en personne, et son secrétaire d’Etat Henry Clay. Affranchi, il embarque à 67 ans sur le bateau Harriet pour un retour vers l’Afrique le 9 février 1829, en passant par les côtes libériennes de Monrovia où il mourra trois mois après, sans avoir pu atteindre son Timbo natal.
En 2015, Mory Diane fait équipe avec Malick Bah pour trois albums de sensibilisation : Union contre Ebola, Votons dans le calme, Comment chercher un emploi ?
En dehors de Diane, on peut citer Youssouf Ben Barry (dit Oscar, né en 1961), fondateur du journal satirique le plus ancien du pays, Le Lynx et dont il fut longtemps le caricaturiste principal. Ce journal a longtemps contenu une rubrique de Kaba (Mohamed Lamine Kaba, né en 1960) : Tâ Bourama, série de strips traitant sur un mode humoristique de thèmes variés comme la politique, la culture et la société, via la vie quotidienne des citoyens Guinéens lambda.
Formé dans des ateliers de peintres, Lamine Kaba a un diplôme de dessin industriel (création de motifs de tissus). Il a participé à quatre ateliers animés par IllusAfrica (avec Jean Claude Kimona) entre 2005 et 2008 et a suivi un atelier organisé par l’Unesco à Dakar. Il est membre de l’Association des journalistes et dessinateurs de presse et ancien président de l’Association des illustrateurs de Guinée. En matière de bande dessinée et d’albums pour la jeunesse, il est l’auteur de La grande découverte pour Guinée Écologie éditée vers 1996 (2 éditions). Il a également participé au collectif Des Papis pas possibles, réalisé dans le cadre d’un atelier (Dakar, BLD, 2006), une BD sur la scolarisation de la jeune fille intégrée à un guide destiné aux associations de parents d’élèves (APAE), Quartier propre et, enfin, une BD de sensibilisation destinée aux chefs de quartier de Bonfi-port pendant une épidémie de choléra, en 2001. Kaba a également réalisé des planches éducatives en BD sur des thèmes variés et des boîtes à images à la demande d’ONG ainsi que des illustrations pour Planète Jeunes et Planète Enfants.
En février 2012, Oscar quitte Le Sphynx pour créer ses propres journaux, Bingo! et Flash Mag (spécialisé dans les faits divers) dont il devient le directeur de publication. Dans ce premier magazine donnant une large place au 9e art du pays, il anime la série Bangala et Soriba (qui met en scène deux amis chômeurs, anciens fonctionnaires, prêts à tout pour survivre), L’épopée des hommes dingues, Les intrigues de Fatou Wolossoe. Auparavant, il a animé des rubriques BD dans plusieurs journaux dont Face de l’An-Pire, dans Le Lynx et illustré des ouvrages (Pour les oiseaux du ciel et de la terre de Koumanthio Zeinab Diallo, 1997). Oscar est également président de l’association Bulle d’encre qui organise le Festival de bande dessinée et de caricature du même nom depuis 2012.
Sa première BD, Face de l’an-pire, les années fory coco de A à Z, a été publié en 2013 aux éditions Tabala, en collaboration avec les éditions Michel Lafon (France) et constitue en un recueil de ses planches, strips et dessins parus dans Le Lynx jusqu’en 2008. Oscar est aussi consultant en communication (il est directeur d’une agence de publicité) et journaliste. En janvier 2021, il reçoit le prix panafricain BD 2020.
D’autres dessinateurs travaillent à Bingo ! comme Aly Mory Keita, Tiekwei Souomou (né en 1987), ancien étudiant de l’ISAG (Institut Supérieur des Arts de Guinée) qui anime la série Tu m’aimeras de gré ou de force qui tourne autour d’un amour impossible mais aussi la série Amara « le djobeur ». On y trouve également des planches de Fadil (Mohamed Fadil Camara). Licencié en lettres modernes, Fadil est réalisateur de cinéma, écrivain, caricaturiste et bédéiste. Il est l’auteur de deux albums de bandes dessinées dont Le transfert de l’amour (la plus originale histoire d’amour) en 1986. Il collabore également à la revue L’éducateur.
On peut également constater le travail de Aïssatou Kadé Baldé (qui, comme Tiekwei reprendra la série Les intrigues de Fatou Wolossoe), Sacko Aiseny, Bailo Diallo ou Ibrahima Camara.
Concernant Mamadou Bailo Diallo, il remporte en mars 2021 le concours régional de Manga, « bandes dessinées d’origine japonaise », organisé par l’OIM (Office international des migrations) en Gambie, en Guinée et au Sénégal au profit des jeunes de moins de 25 ans sur la thématique de la migration et le développement local. Sur les 21 propositions reçues par les organisateurs, deux candidats se sont disputés la finale, l’autre étant le jeune sénégalais, Christ Alan Gauthe.
A travers des images et des textes faciles à comprendre, Mamadou Bailo Diallo a réussi à retracer l’histoire de deux jeunes dont les objectifs sont totalement opposés : l’un voulait à tout prix aller en Occident pour réussir et l’autre voulait rester dans son pays pour s’épanouir.
Aujourd’hui décédé, Mohamed Cherif Haïdara a dessiné une BD de sensibilisation en 2012, Expérience Soguipah, moyen sûr de lutte contre la pauvreté qui peut être considérée comme le premier album de BD publié par une maison d’édition Guinéenne (L’Harmattan Guinée en l’occurrence).
A l’étranger, Camara Anzoumana, cousin de Camara Laye, a commencé sa carrière en Côte d’Ivoire. Né à Kouroussa, un village de Haute Guinée, formé à l’École des beaux-arts de Conakry, il a été dessinateur pour Fraternité matin, puis Fraternité hebdo pour lequel il crée plusieurs séries comme Konan le brut ou La reine Pokou. Par la suite, il collabore à différentes revues comme Ivoire dimanche ou Yan-Kady pour laquelle il produit la série Zatar. Revenu en Guinée, il travaille dans le cadre de campagnes de lutte contre le Sida, pour lesquelles il produit une bande dessinée, et collabore au journal L’éducateur. Puis, émigré en France, il illustre des livres scolaires pour Hatier International et des contes pour Présence africaine. Il expose aussi ses toiles dans différentes galeries. En 2011, il sort L’enfant noir chez Esprit libre junior, l’une des rares adaptations d’une œuvre littéraire d’un écrivain africain. Puis en 2017, Anzoumana publie chez le même éditeur un nouvel album, inspiré d’une biographie d’Ibrahima Khalil Fofana : Samory Touré, empereur.
Enfin, illustrateur indépendant, mangaka, Sogué Da Silva (né en 1984) a participé au Manuel du mangaka, publié en 4 volumes entre 2009 et 2010, chez Pearson.
Peu d’autre nom apparaît, la faute sans doute à un manque de scénario viable et à un certain désintérêt des maisons d’édition locales essentiellement tournées vers l’édition scolaire ou parascolaire, subventionnée par des partenaires étrangers. Enfin, le milieu des caricaturistes n’est pas très fourni mis à part les caricaturistes du journal Le lynx, et Momo Soumah (dit Charlie) ainsi que Fima Diomande de L’indépendant. Mais la vraie raison tiendrait surtout en l’absence d’école d’art performante. Celle qui existait à l’époque de Sékou Touré enseignait un « art national socialiste » que l’on retrouve chez les graphistes et dans l’illustration jeunesse de l’époque et qui perdure encore par certains côtés. Il y a dix ans, une école des arts (cinéma, théâtre, arts plastiques) a ouvert mais elle n’a guère de moyens, un mode de sélection défaillant et un encadrement pédagogique inexpérimenté en matière d’illustration ou de BD.
De ce fait, en 2021, la BD Guinéenne reste balbutiante, limitée à quelques noms et ne constitue pas un mouvement particulier sur le continent.
Tout cela démontre juste qu’elle a tout l’avenir devant elle !
africultures.com, par Christophe Cassiau-Haurie
Le 24 mai 2021