Après sa victoire contestée à l’élection présidentielle, le chef d’État guinéen est accusé de
dérive autoritaire. Arrestation dans les rangs de l’opposition, répressions violentes des manifestations, celui qui incarnait un espoir pour la démocratisation de son pays en 2010 déçoit et
inquiète de plus en plus de monde.
La Guinée sombre dans la violence. Après l’élection contestée d’Alpha Condé à un troisième mandat présidentielle, le 18 octobre, l’opposition est ciblée par les forces de sécurité et le régime se durcit considérablement. « Arrestation des opposants, homicides illégaux des forces de l’ordre, atteintes à la liberté d’informer, la Guinée n’est plus aujourd’hui une démocratie mais une démocrature », juge Fabien Offner, chercheur au bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
L’ONG de défense des droits de l’homme tente depuis des mois, d’alerter la communauté internationale sur la dérive autocratique d’Alpha Condé. Définitivement proclamé le 7 novembre par la Cour constitutionnelle président de la Guinée pour un troisième mandat consécutif à l’âge de 82 ans, il est en train de décapiter son opposition.
« Quatre figures de l’opposition ont été inculpées, lundi, pour fabrication et détention d’armes de guerre et atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation », déplore le chercheur d’Amnesty. Il s’agit de Cellou Baldé, Ousmane Gaoual Diallo, Abdoulaye Bah et Étienne Soropogui. Les trois premiers sont des responsables de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le parti dirigé par le principal challenger d’Alpha Condé à la présidentielle, Cellou Dalein Diallo. Étienne Soropogui, lui, avait publiquement appelé à voter pour Cellou Diallo.
Selon l’opposition, au moins 46 personnes ont été tuées les jours suivant la présidentielle par les forces de sécurité. « Nous sommes en train de documenter cette violence post-électorale », explique Fabien Offner. « Son niveau est élevé, les forces de l’ordre tirent à balle réelle contre les manifestants et ils jouissent d’une impunité totale ».
Aucun gendarme et aucun policier n’a vraiment été inquiété par la justice guinéenne depuis que les forces de l’ordre interviennent sans ménagement contre les manifestations de l’opposition. Abdoulaye Oumou Sow, porte-parole de l’UFNDC, la seconde plateforme de l’opposition guinéenne, assure que « tous les membres de la coordination du mouvement mais aussi nos antennes à la base sont l’objet de séquestrations et de menaces ». Selon lui, des agents du gouvernement cachent des armes « chez les personnes ciblées », pour justifier leurs arrestations.
Le conflit entre les communautés a été, à nouveau, réactivé par la présidentielle. Parmi les victimes des violences ante et post-électoral, les Peuls semblent particulièrement nombreux. « Il faut manier les chiffres avec prudence sur ce sujet, souligne Fabien Offner, mais il est vrai que si l’on regarde l’appartenance communautaire des victimes dont nous avons documenté les cas, on trouve une majorité de Peuls. Cela tient aussi au fait qu’ils sont plutôt présents dans l’UFDG : le mouvement en première ligne contre le 3e mandat d’Alpha Condé et son maintien au pouvoir. »
Ces violences et ces dérives choquent même parmi les anciens soutiens d’Alpha Condé, comme le journaliste guinéen Lanciné Camara, président de l’Union des journalistes Africains. « C’est un ami, je l’ai soutenu, j’ai organisé des grandes conférences de presse pour lui, il a incarné un espoir pour mon pays quand il a remporté l’élection présidentielle de 2010. Je suis effondré par la dérive du régime, les violences contre les journalistes, la société civile, l’opposition, l’instrumentalisation des ethnies pour garder le pouvoir. »
De son côté, le président guinéen dément les accusations portées contre lui. Lors d’un entretien accordé à RFI, le 14 novembre, il a assuré qu’il n’y avait pas de « chasse aux sorcières » en cours dans son pays, depuis sa réélection. Il rejette aussi les accusations de dérive antidémocratique de son régime
: « Je n’ai jamais dit que la démocratie, c’est la limitation de mandats », explique-t-il en citant l’exemple du Royaume Uni ou de l’Allemagne.
Lacroix.com
Le 18 novembre 2020