Nous gérons les passions politiques": c'est surtout lui, Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale (Céni), qui se retrouve sous une pression maximale à l'heure de devoir annoncer les résultats de l'élection présidentielle en République démocratique du Congo.
"Arrêtez de nous intimider, arrêtez d'essayer d'influencer la décision de la Céni", a-t-il lancé jeudi, inhabituellement tendu, aux divers observateurs des élections qui doivent désigner le successeur du président Joseph Kabila.
Dans sa ligne de mire: les évêques, qui affirment connaître déjà le nom du vainqueur, et lui suggèrent de dire les résultats "dans le respect de la vérité et de la justice".
Et même le chef des observateurs de l'Union africaine (UA), l'ex-président malien Diacounda Traoré, qui va répétant que les futurs résultats proclamés "doivent être conformes à la volonté des électeurs".
La période n'est vraiment pas de tout repos pour cet économiste de 48 ans, ordinairement jovial, blagueur et souriant.
- C'est lui et lui seul -
Selon la loi, c'est lui, et lui seul, qui doit proclamer d'ici à dimanche les résultats provisoires des élections, des résultats susceptibles de rallumer la mèche de la contestation dans le plus grand pays d'Afrique sub-saharienne - et l'un des plus instables aussi.
"Nous ne dormons pas", confie-t-il à l'AFP, une barbe de trois jours naissante sur un visage habituellement rasé de près.
"Nous faisons de notre mieux pour qu'on publie les résultats le 6 janvier. Mais si on n'y arrive pas, à l'impossible nul n'est tenu", ajoute-t-il, préparant les esprits à un report de l'annonce des résultats au-delà de dimanche.
Des reports des élections, Corneille Nangaa en a supervisé trois depuis qu'il a remplacé son mentor, l'abbé Apollinaire Malu Malu, en 2015 à la tête de la Céni.
"Nous tiendrons la date du 23 décembre!", a-t-il répété toute l'année 2018, alors que les élections avaient été déjà deux fois reportées depuis la fin du deuxième mandat du président Kabila en décembre 2016.
M. Nangaa a tenu la date du 23 décembre... jusqu'au 20 décembre, lorsqu'il a annoncé le troisième report des élections d'une petite semaine.
L'opposition ne croit toujours pas en son rôle de simple technicien électoral.
Corneille Nangaa est le "serviteur" du président Joseph Kabila, avait lancé un soir de colère le président et candidat du parti historique d'opposition UDPS, Félix Tshisekedi.
A cette époque - octobre 2017 -, Nangaa n'envisageait pas d'élections avant "504 jours", soit début 2019.
- Visite de Nikki Haley -
Délai électoral miraculeusement réduit après une visite à Kinshasa et une mise en garde de l'ex-ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies, Nikki Haley.
Jusqu'au jour du vote, M. Nangaa a subi les assauts des opposants rassemblés autour de Martin Fayulu très remontés contre la machine à voter de fabrication sud-coréenne, la procédure de vote qu'il a retenue. Une machine qui a permis d'économiser sans doute des tonnes de papiers mais qui a aussi connu des dysfonctionnements le jour du vote.
"Si quelqu'un à l'intention de tricher il peut le faire avec ou sans machine", a répété pendant des mois Nangaa, à l'occasion taquin voire provocateur.
La preuve: dimanche dernier, le jour du vote, il est allé en personne affronter la colère des électeurs à Kinshasa dans un bastion de l'opposition, qui protestait contre le retard de l'ouverture du bureau de vote.
Le natif du Haut Uélé (nord-est) fréquente les arcanes du système électoral congolais depuis la première élection du président Kabila en 2006, qui s'était soldée par des contestations puis des affrontements entre l'armée et les milices du perdant, Jean-Pierre Bemba.
Nangaa a fait ses premiers pas dans les couloirs de la Céni sous l'égide de l’abbé Apollinaire Malu Malu, qui lui a confié en 2006 le poste de "superviseur technique".
Il a définitivement pris les commandes de la Céni en 2015, quand la tension montait entre le pouvoir et l’opposition réclamant en vain des élections comme prévu en décembre 2016.
"Mon mandat se termine au mois de juin (2019)", déclarait-il en avril.
"Après, je vais faire autre chose", dit-il, citant spontanément "l'agriculture" : "Je suis un fermier. J'aimerais vraiment rentrer faire mes champs".
Et la politique? "Je suis plutôt un technicien. La politique, ce sont des caïmans. Il faut savoir nager. Et je ne suis pas sûr de savoir aussi bien nager que les autres". Ah bon?
AFP
Le 4 janvier 2019
Écrire commentaire