L’émotion est à son comble à Seyrentepe, au QG d’Ekrem Imamoglu, le candidat du Parti républicain du peuple (CHP, opposition) pour l’élection du maire d’Istanbul, lorsque les premiers résultats commencent à tomber, dans la soirée de dimanche 23 juin.
Il était seulement 20 heures, toutes les urnes n’avaient pas encore été dépouillées (30 % seulement) quand, déjà, Ekrem Imamoglu affichait huit points d’avance sur son adversaire Binali Yildirim, le candidat du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) et poulain du président Recep Tayyip Erdogan. Plus tard dans la soirée, après le dépouillement de 99 % des urnes, M. Imamoglu sera donné vainqueur avec 54,03 % des voix contre 45,09 % pour l’ancien premier ministre Yildirim.
« Quelle belle journée ! Imamoglu a gagné ! », scandent en ce début de soirée les militants du CHP, le plus vieux parti de Turquie, rassemblés en force à Seyrentepe, sur la rive européenne de l’ancienne capitale ottomane. Ils ont convergé par autobus entiers depuis toutes les provinces du pays pour assister en direct au deuxième round de l’élection du maire.
Il y a là Tunç Soyer, le maire CHP d’Izmir, venu soutenir son camp, et aussi Canan Kaftancioglu, qui dirige la section stambouliote du parti. Imamoglu arrive enfin, les militants l’assaillent, la sécurité est débordée. C’est à qui le touchera, le serrera dans ses bras, fera un selfie avec lui.
« A partir d’aujourd’hui, tout va changer ! », s’écrit Adnan, venu de Trabzon en autobus pour soutenir Imamoglu, son favori. Il n’a pas voté, il ne vit pas à Istanbul. Il est venu pour ne pas manquer « un moment historique ».
C’est ainsi que le second tour de l’élection du maire d’Istanbul, organisé dimanche, s’est transformé en un combat de gladiateurs, un spectacle de dimension nationale, suivi avec passion depuis les quatre coins de la Turquie (mer Noire, Thrace, côte égéenne et méditerranéenne) et pour lequel de nombreux militants du CHP ont fait le déplacement.
En réclamant et en obtenant de la Haute Commission électorale (YSK), l’annulation du premier scrutin municipal du 31 mars, l’AKP a fait le lit de sa défaite. La défaite de son candidat est une sérieuse déconvenue pour le président Erdogan et pour son parti, vainqueur de toutes les élections depuis 2002.
A l’issue du premier tour, le 31 mars, Imamoglu avait seulement 13 000 voix d’avance sur son concurrent Binali Yildirim. Cette fois-ci, sa victoire est écrasante. Dimanche soir, après le dépouillement de 99 % des urnes et alors que les résultats définitifs n’ont pas encore été livrés, il affiche plus de 800 000 voix d’avance sur son rival. Les votes lui ont été favorables dans 28 arrondissements d’Istanbul sur 39, contre 15 lors du premier scrutin.
Dans la soirée, le président Recep Tayyip Erdogan, via son compte Twitter, et le candidat malheureux Binali Yildirim ont adressé leurs félicitations au nouvel édile. C’est la première fois en dix-sept ans que M. Erdogan ne s’exprime pas en direct juste après une élection.
Ekrem Imamoglu lui a tendu la main. « Monsieur le président, je suis prêt à travailler en harmonie avec vous », a t il déclaré depuis son QG. Puis s’adressant à ses électeurs : « à partir d’aujourd’hui, une nouvelle page s’ouvre à Istanbul où les valeurs de justice, d’égalité, de respect et d’amour l’emporteront sur toutes les autres. »
Le second tour de la municipale, voulu par l’AKP, a considérablement renforcé la popularité de ce politicien de 49 ans, dont les manières douces et l’assurance tranquille ont conquis les Stambouliotes.
En remportant la mairie de la ville la plus riche et la plus peuplée de Turquie, l’homme se positionne déjà comme le futur candidat de l’opposition lors de la prochaine présidentielle prévue en 2023. C’est investi du même mandat, en 1994, que Recep Tayyip Erdogan, avait commencé à gravir les marches de sa fulgurante carrière politique.
Sa victoire consacre l’émergence d’une nouvelle génération de politiciens. Elle met en péril l’assise électorale de l’AKP, dont « la machine à gagner » les élections s’est brusquement grippée.
A Istanbul, de Besiktas à Kadiköy, la rue fête « le retour de la démocratie », à coups de klaxon, de sifflets, de chansons déclamées avec force, de drapeaux agités depuis les voitures qui filent à toute allure sur les avenues. Un peu partout, des vendeurs de rue déploient à l’improviste des stands de fortune avec écharpes, drapeaux, insignes à l’effigie d’Ekrem Imamoglu, auréolés de son slogan : « Tout ira bien ! »